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Dans le cadre du Tour Alternatiba, Jean Jalbert, directeur de la Tour du Valat et spécialiste des zones humides, a animé le 11/9 une conférence à Arles sur les impacts du climat dans le delta.

La topographie des deltas les rend particulièrement sensibles à la montée des eaux liée au réchauffement climatique. En Camargue, 70% des 150 000 hectares sont en dessous d’1 mètre d’altitude ! D’où une menace réelle de submersion des zones basses, confortée par de récentes études scientifiques en Antarctique et au Groenland montrant que la fonte des glaces est plus rapide que ce que prévoyaient les scénarios du GIEC, publiés en 2014.

« Les catastrophes naturelles ont doublé en 30 ans et 90% d’entre elles étaient liées à l’eau », rappelle Jean Jalbert devant le public venu nombreux à l’Espace Van Gogh, preuve que le sujet interpelle.

La biodiversité en péril

Jean Jalbert

Jean Jalbert – Directeur de la Tour du Valat

 Outre la fonte des glaces et les crues, la pression hydrologique sur la Camargue provient des politiques historiques d’aménagement du territoire. Et notamment de la volonté de maitriser la mer par l’endiguement des côtes maritimes. « Nous avons fixé le delta. Depuis, nous vivons dans une illusion de stabilité vis à vis des évènements marins », soulève Jean Jalbert.

L’ensablement lié au mouvement marin, qui constituait un rempart naturel des côtes contre les fortes houles, ne fait que décroitre. A cela s’ajoute le reboisement et l’urbanisation sur les berges du Rhône. Un élément qui freine la dépose de sédiments en aval et rend le delta plus sensible aux violences des crues. La conséquence de ces phénomènes combinés est claire : le delta se creuse, s’appauvrit et la biodiversité est impactée.

Or à l’état naturel, ces zones humides ont un rôle écologique primordial. Par la spécificité des sols et de la flore, elles fonctionnent comme des éponges. Elles limitent les conséquences de l’alternance entre sécheresse et pluies diluviennes, transition exacerbée par le changement climatique. Et elles sont aussi des remparts naturels efficaces contre l’énergie des vagues.

L’exemple des « Natural Climate Buffers » aux Pays-Bas

 Jean Jalbert fait le parallèle avec les Pays-Bas. Avec la moitié de leur territoire situé en dessous du niveau de la mer, occupé par 10 millions d’habitants, la Hollande est particulièrement sensibilisée aux problèmes de montée des eaux. Les pouvoirs publics ont depuis longtemps adopté une politique pro active de prévention des conséquences du changement climatique. Pour des questions de sécurité des habitants, bien sûr, mais aussi pour maintenir la production agricole et l’attrait touristique.

« En collaboration avec la communauté scientifique, les associations environnementales et les acteurs économiques, les Pays-Bas ont développé des zones appelées natural climate buffers, soit des amortisseurs climatiques naturels », explique le directeur. Ainsi, des espaces où les cours d’eau étaient canalisés, ou bien qui accueillaient une activité agricole ou étaient endigués, ont été rendus à la nature. Ceci afin d’offrir des espaces non contraints, tout en permettant d’aménager des zones d’observation et de promenade.

Après coup, les acteurs locaux ont observé une meilleure capacité du territoire à absorber les variations climatiques, un gain significatif pour la biodiversité et un attrait touristique renforcé.

La dynamique de la Camargue

Inspirés par ces pratiques mais aussi forts de leur propre expérience, les acteurs du territoire camarguais ont engagés des actions. La plus significative – elle concerne 6 000 hectares – est la gestion adaptative des étangs. La Tour du Valat, en collaboration avec les Salins de Giraud et le Conservatoire du Littoral, ont entériné l’arrêt de l’enrochement sur la première ligne de front avec la mer, tout en conservant le second front.

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« Cela permet de laisser faire la Méditerranée, elle amène du sable ce qui sécurise l’intérieur des étangs et de la côte contre les coups de mer », explique Jean Jalbert. En restaurant le fonctionnement naturel du delta, l’autre objectif est de favoriser l’écoulement des eaux vers la mer. Avantage collatéral : la faune et la flore recolonisent l’espace et donnent un nouvel attrait touristique au territoire.

Les acteurs du territoire camarguais savent aussi faire preuve de créativité. Ainsi du travail participatif développé par la Tour du Valat et les ateliers Luma. Architectes, designers, ingénieurs et exploitants agricoles se sont mis autour d’une même table pour proposer des solutions innovantes de protection du littoral.
Cela a d’ores et déjà donné naissance à du réemploi de pailles de riz autrefois inexploitées pour de la création de digues « éponges ».

Jean Jalbert n’est ni pessimiste, ni optimiste. Il nous invite seulement à construire une nouvelle histoire de l’homme avec son territoire. Celle qui permettra de réduire notre empreinte sur la nature et de trouver les solutions fondées sur son cycle évolutif. Ce qui implique d’ en accepter les aléas.

Crédit photos : Jean Jalbert/Tour du Valat