le pain cuit

Dans une petite vallée nichée entre la Côte Bleue et les industries de Martigues (13), il était une fois des enfants du pays ayant bien grandi mais qui rêvaient d’un monde où la vie serait plus solidaire, plus goûteuse et plus douce…

La route qui passe par Saint-Julien-les-Martigues pourrait paraitre banale, mais à bien y regarder, on aperçoit une petite chapelle cachée, des collines au loin et des champs qui confèrent à ce lieu un aspect préservé. Un chemin non goudronné mène à la maison de Thierry et Céline Seren. Il est 15h, un mardi, l’heure de la cuisson du pain.

paysans boulangers, ils font du pain bio

Thierry et Céline travaillent ensemble

Dans l’atelier surchauffé, le four à bois baisse doucement en température pour accueillir les pains tout juste levés. Thierry et Céline travaillent en duo. Céline se qualifie de petite main, elle prépare le four, aide à l’enfournage. Thierry signe d’un geste sûr son pain. Humblement, ils nous confient leur histoire d’une reconversion peu banale.

« Un jour, on change de vie »…

« Dans une autre vie, je fus ingénieur aéronautique chez Dassault. Je travaillais beaucoup. Céline avait arrêté son travail pour s’occuper de nos deux filles. Quand on nous a proposé un poste en expatriation aux États-Unis, nous avons tout de suite accepté. Une nouvelle vie a commencé  pour nous dans l’Arkansas, à Little Rock, loin des cités surpeuplées des côtes ouest et est, loin, aussi, des strass et des paillettes. Little Rock fut la découverte de la nature sauvage, comme on n’en voit plus en France, cette nature si vaste, sans limite, avec ses dangers et ses bêtes sauvages. La découverte aussi du paradoxe américain avec tous ses extrêmes, cette magnifique nature mais aussi la consommation à outrance ».

le pain à cuire

Cette expérience de 7 ans va changer la vie de toute la famille, leur vision du monde est transformée, leur vision de la France aussi. Un véritable déclic s’opère : l’ouverture à une conscience plus grande et à un monde à réinventer.

Retour en France en demi-teinte

2013, c’est le retour à Saint-Julien-les-Martigues, un choix pour la famille. À leur arrivée, triste constat, la France avait pris le chemin de la surconsommation. « Nous devenons comme les Etats-Unis », confirme Céline. Surprise aussi par l’école, « les garçons et les filles ne se mélangeaient pas, nos filles étaient déstabilisées par ce manque d’ouverture ». Un retour en demi-teinte, mais la page des États-Unis avait bien été tournée. Que faire ? Thierry souhaite rapidement « s’impliquer dans la vie locale et faire vivre le village, ainsi que voir éclore une agriculture plus saine et plus naturelle ».

enfournage du pain bio

Au début, du pain pour la famille

Thierry s’était formé à la permaculture aux US, il faisait aussi son pain à l’ancienne, ne trouvant pas satisfaction sur place. Il s’investit dans la vie associative. Pendant les réunions, les discussions reviennent sans cesse sur l’absence de boulangerie à Saint-Julien mais aussi à Saint-Pierre (commune de Martigues). Il commence à refaire son pain pour sa famille, ses amis. Le hasard de la vie fait qu’il rencontre un paysan boulanger qu’il suit en Isère pour s’immerger dans ce milieu.

En 2016, il comprend qu’il doit s’investir et lancer sa propre activité de paysan boulanger. Il n’a pas de terres. « Par chance, j’en ai trouvé et il a été possible de démarrer tout de suite en bio. En novembre 2016, j’avais 4 hectares de blé et j’ai moissonné pour la 1ère fois en été 2017 ».

Semeur de graines et passeur engagé

La suite, c’est la fin de sa carrière d’ingénieur. « J’ai démissionné en avril 2018 pour prendre un congé de création d’entreprise. Je n’ai eu aucune aide, j’ai investi avec mes fonds propres. Tout cela entraine des changements de vie, nous sommes dans une démarche de décroissance. Notre plus grande fierté est le support de nos clients ».

résultat de la fournée

Il sélectionne des variétés anciennes de blé, les cultive, réalise ses farines « de meule » et fabrique son levain naturel. « Je me suis engagé pour les graines, je suis parrain de différentes variétés de Kokopelli. On me confie un petit sachet de graines qui va devenir exponentiel. Il faut 7 années entre le sachet et la moisson. Je refuse les semences industrielles, même si le rendement avec les semences anciennes est ridicule. On peut parler d’une révolution souterraine. Une belle énergie se crée autour du pain. Cela demande une quantité de travail très importante car notre procédé de fabrication est manuel. Je n’ai pas mon CAP boulanger et n’en ai pas besoin car les paysans ont le droit de transformer leur production. C’est une loi qui date de Napoléon. Ce qui est assez amusant est que certaines écoles de boulangerie me sollicitent pour transmettre mon savoir-faire ».

Biodynamie et nouvelles créations

Et maintenant ? « Je cherche à optimiser mon système de production, chaque étape est très longue. Je réfléchis à  une meilleure organisation pour satisfaire la demande qui est croissante tout en gardant notre façon de travailler. J’ai aussi très envie de transmettre. Je souhaite montrer que la reconversion est possible et qu’on peut proposer un produit maitrisé du début à la fin. Notre production est complètement transparente, nos champs sont à côté. Nous avons créé un cercle vertueux. Maintenant, nous souhaitons passer du label bio au label Demeter ».

le pain cuit

Bientôt, la production va s’étoffer avec d’autres plantes cultivées, mais aussi avec la création de pâtes alimentaires, qui sont actuellement en test.

À la question, avez-vous des regrets, ils répondent que « nous sommes heureux de faire quelque chose qui nourrit, qui redonne un sens et du lien ». On veut bien les croire ! En goûtant leur pain, on y trouve ce petit supplément d’âme des choses faites avec le cœur.

Et quand on les retrouve sur le marché de Saint-Julien le samedi matin, ils ont déjà tout vendu, il n’est même pas midi…


Pour aller plus loin

Où trouver le pain des Seren ?
Biocoop de Saint-Mitre-les-Remparts
Le samedi matin, sur le marché de Saint-Julien-les-Martigues, devant la cave coopérative.
Pour réserver son pain : 07 69 92 72 32