Il a disparu dans les années 60. Chercheurs et passionnés relancent sa culture grâce au travail des paysans. Le poivron carré de Lagnes est de retour !

Le poivron carré de Lagnes a une très longue histoire, mais son avenir, c’est en partie dans les Vieux Vergers qu’il pourrait bien s’inscrire, puisque l’association porte le projet de réhabilitation de ce légume-fruit étonnant.

Au XVIème siècle le piment (de la famille des tomates/aubergines) arrive en Europe via le Portugal et l’Espagne depuis les Caraïbes. Il évoluera génétiquement pour devenir poivron. Il en existe plusieurs variétés, des carrés, des rectangulaires, des triangulaires…

Le terroir de Lagnes se révèle propice

« Les résultats sont très bons » explique Georges de Valence, à l’origine du projet. Entre 1900 et 1960, le poivron carré occupe principalement les agriculteurs et les ouvriers agricoles, il s’en produit plusieurs dizaines de tonnes par an. « Il fait la gloire du village pendant des décennies jusqu’à l’international ».

Un bon et gros poivron… à surveiller de près

C’est que le poivron carré a beaucoup de qualités : il est gros, il a un bon goût très  particulier, des  qualités culinaires, diététiques et même médicinales : avec 21Kcal/100 g,, il est riche en fibres, et stimule le transit intestinal. Mais il a aussi quelques faiblesses : il se récolte seulement d’août à octobre, (c’est un tardif), sa taille imposante nécessite un tuteurage à plusieurs reprises, (et donc beaucoup de main d’œuvre),  il ne supporte pas trop d’eau, il faut donc le surveiller de près, et le vent qui souffle à Lagnes le fragilise aussi…

Sacrifié sur l’autel des marchés

Dans les années 60, les semenciers commencent à vendre aux agriculteurs des semences ou des plants résistants aux maladies, bien calibrés, et font évoluer la législation et les goûts des consommateurs… « Les semenciers se sont organisés pour priver les agriculteurs de leurs pratiques d’autonomie », constate Georges de Valence.

Ce fils d’agriculteur connait bien la question, il a passé 30 ans dans le secteur des semences ! Comme tant d’autres variétés locales, le poivron carré de Lagnes déserte les champs… « C’est une catastrophe que ce patrimoine, obtenu de haute lutte  par des générations d’agriculteurs qui ont su développer un vrai savoir-faire, soit perdu. »

Le retour annoncé du poivron carré

Georges de Valence lance la contr’attaque en 2010, et il n’est pas seul ! Car l’INRA avait conservé des poivrons de Lagnes ( quelques rares agriculteurs aussi, « pour leur consommation personnelle » )! Le projet de réhabilitation est lancé, soutenu par l’INRA et depuis 2012 par le GRAB (Groupe de Recherche en Agriculture Biologique) de Montfavet, ainsi que par la municipalité de Lagnes et le Parc Naturel Régional du Luberon.

Objectif pour Georges de Valence : « favoriser un produit agricole du terroir, de qualité, issu de la patiente recherche des agriculteurs qui ont su l’adapter par des sélections successives au fil du temps ». Un objectif double, de conservation mais aussi économique.

Le secours des scientifiques

Dans un premier temps, il s’agit de retrouver la variété ressemblant le plus à l’original, grâce aux essais conduits par l’INRA, le GRAB et plusieurs professionnels mais aussi à une dizaine de jardiniers amateurs, membres du réseau EDULIS (Ensemble Diversifions et Utilisons Librement les Semences). Des séances de sélection participative sont organisées, avec des agriculteurs, anciens et nouveaux, des restaurateurs, des consommateurs…

Une fois le poivron carré de Lagnes retrouvé au plus près, il s’agira pour Georges de Valence « que des agriculteurs le remettent en culture, à Lagnes où il est très bien, si on a la patience de le cultiver dans de bonnes conditions, ce qui permettrait de revaloriser le village et ses terres. Pareil pour la restauration qui pourrait proposer des produits locaux et donc une valeur ajoutée à sa carte. »

Aujourd’hui,  subsistent une demi-douzaine d’agriculteurs à Lagnes. El l’espoir que le lointain descendant d’un joli légume-fruit venu d’Amérique Centrale il y  a 500 ans pourrait redevenir un atout de bon goût pour le village.

Info pratiques :

www.lesvieuxvergersdelagnes.com

www.grab.fr


Chloé Gaspari3 questions à…

Chloé Gaspari, chargée de mission au GRAB*

BT : Depuis quand le GRAB s’intéresse-t-il au poivron carré de Lagnes et de quelle manière ?

CG : Au cours d’un projet Européen Alcotra démarré en 2011 et terminé en 2013*, le GRAB a travaillé à la relance d’une vingtaine de variétés locales de la région PACA et du Piémont dont le fameux poivron carré de Lagnes.

Des agriculteurs du réseau EDULIS multiplient ses semences afin de conserver la variété. L’objectif est de valoriser le patrimoine local de notre région mais également de redéployer dans les pratiques des agriculteurs bio de notre région, les savoirs liés à l’autoproduction de semences, et de montrer concrètement les intérêts de s’autonomiser face à l’intrant semences.

BT  : Quelles sont les principales difficultés ou contraintes à la réhabilitation du poivron carré de Lagnes ?

CG : Le poivron Carré de Lagnes est un poivron gourmand, tardif, sensible à la nécrose apicale et au Phytophtora. Il est donc difficile à cultiver. Mais il est très apprécié des amateurs et trouvera certainement un créneau intéressant sur un marché de niche.  Si relance il y a, je la verrai plus à l’échelle régionale, (la commune de Lagnes ne compte plus qu’une demi-douzaine d’agriculteurs),  chez des maraîchers distribuant sur les circuits courts qui souhaitent proposer des légumes de bonne qualité gustative (car il est effectivement très bon), ou auprès des associations ou de particuliers amateurs. Il pourrait aussi être destiné à la transformation

BT :  Quel est pour vous le principal intérêt ?

CG : Pour moi, le principal intérêt serait patrimonial. L’autre intérêt est aussi de travailler avec des semences que l’on peut reproduire. Mais attention à ne pas oublier les fondamentaux de l’agriculture biologique qui préconisent une diversification des cultures à l’échelle du parcellaire, une utilisation de variétés rustiques, et de planifier des rotations longues afin de ne pas cultiver poivron sur poivron.

*GRAB : Groupe de Recherche en Agriculture Biologique

www.grab.fr

*www.grab.fr/projet-alcotra-un-reseau-pour-la-biodiversite-transfrontaliere-2875


Avec la complicité de l’INRA…

Anne-Marie Sage-Palloix / INRA

Anne-Marie Sage-Palloix, Ingénieur d’Études, responsable de la collection Piment à l’Unité de Recherche de Génétique et Amélioration des Fruits et Légumes (GAFL) est  associée au projet depuis 2011.

« A cette époque, explique-t-elle, un collectif de producteurs (à majorité pratiquant l’agriculture biologique), d’amateurs-jardiniers, d’associations dont les Vieux Vergers de Lagnes et le Parc Naturel régional du Luberon saisissent  l’INRA d’une demande afin de réhabiliter la culture du « Poivron de Lagnes » ou « Carré de Lagnes ». »

Une tombe au poivron

Cette culture avait été pratiquée dans les années 1950-60 et probablement bien avant, comme le prouve la découverte d’une tombe datant de 1925 au cimetière de Lagnes « décorée » avec des poivrons sculptés dans la pierre tombale.

L’INRA fournit alors 3 accessions (collectes de matériel de multiplication prélevée à un moment en un endroit de sa collection)  au PNRL qui les  diffuse auprès de producteurs et jardiniers de Lagnes.

La démarche scientifique

Sollicité également en 2012 par le GRAB* pour participer au projet Alcotra intitulé « Un réseau pour la biodiversité transfrontalière » l’INRA  intégre 3 accessions de poivron de sa collection  dont une variété de Lagnes.  Puis le réseau EDULIS  prend le relais.

« Comme toute expérimentation multi-locale, conclut Anne-Marie Sage-Palloix, celle-ci présence quelques contraintes : suivre les essais dans des conditions de culture différentes, réunir les partenaires, subir les aléas climatiques… Mais la réhabilitation de variétés dites anciennes est toujours intéressante pour la conservation du patrimoine, et l’entretien de la biodiversité parmi les espèces végétales. »

http://w3.avignon.inra.fr/gafl/fr/personnes/anne-marie_sage-palloix