quand l'eau est rare photo O3HP

Près de Forcalquier, un projet scientifique étudie depuis dix ans les conséquences d’une baisse des précipitations sur la forêt méditerranéenne. Le premier bilan est clair : l’écosystème s’adapte mais les risques de régression végétale sont réels si la sécheresse se prolonge.

A l’Observatoire astronomique de Haute-Provence (OHP), lever la tête est un réflexe. Depuis des années, les scientifiques du CNRS scrutent le cosmos pour y détecter les exo-planètes. L’expérience conduite par l’IMBE (Institut Méditerranéen de Biodiversité et d’Ecologie marine et continentale) a une visée plus modeste mais aussi vitale : observer la canopée pour analyser les conséquences d’une baisse des précipitations sur le végétal.

le végétal réagit à la sècheresse

Des bras de passerelles en hauteur permettent d’accéder au végétal sans fouler le sol-Photo O3HP

Plusieurs modèles climatiques prédisent en effet une diminution de 30 à 40% des précipitations sur l’arc méditerranéen en 2050-2100, conséquence du réchauffement. L’IMBE, institut de recherche associant le CNRS et Aix Marseille Université (AMU), a voulu en avoir le cœur net. « Le site de l’OHP dispose de 100 ha de forêts. La majeure partie est constituée de chênes pubescents, typiques du milieu méditerranéen. Nous avons voulu étudier les effets d’une baisse des précipitations sur une parcelle de 300 m², où nous diminuons artificiellement de 30% les apports d’eau», indique Thierry Gauquelin, professeur à l’AMU et responsable du projet.

Passerelles et bâches déroulantes

Avec le chêne blanc et le pin d’Alep, le chêne pubescent est l’une des trois espèces phares de la région méditerranéenne française. Rien qu’en Sud PACA, il couvre plus de 250 000 ha. Sous le nom de code O3HP (Oak Observatory at the OHP), des scientifiques accompagnés de doctorants entretiennent sur le site de l’observatoire un dispositif ingénieux. « Une petite aire forestière est équipée de passerelles, situées à 80 cm et 3,5 m du sol. Sur une portion de celle-ci, un système de bâches déroulantes intercepte et redistribue les pluies naturelles afin de l’exposer à un régime de précipitations proche de celui prédit par les modèles climatiques », détaille Thierry Gauquelin.

les bâches réduisent la quantité d'eau

Les bâches sont déployées lorsqu’il pleut-photo O3HP

Capteurs de température et d’humidité sur le sol et dans la canopée, détecteurs de flux de sèves… Ajoutés aux travaux des doctorants, ces systèmes ont permis de recueillir des données précieuses. « Nous en sommes à la septième année d’études sur la zone d’exclusion des pluies. Et nous travaillons sur trois axes majeurs : le sol et la décomposition des litières ; les Composés Organiques Volatils (COV) ; et la croissance des arbres », précise le chercheur.

Pics de COV, ralentissement de la croissance

Quels résultats depuis 2012 ? « Au sol, nous observons un ralentissement de la décomposition des litières. La biodiversité change, certains acariens disparaissent. Dès la première année, nous avons aussi enregistré, sur les branches des chênes pubescents, des pics de COV rejetés. La situation s’est normalisée ensuite, comme si les arbres s’adaptaient au stress hydrique. Enfin, la croissance des arbres a été rigoureusement identique de 2013 à 2016 entre la zone d’exclusion des pluies et la zone témoin. Ce n’est que depuis 2017 que nous observons une baisse de la croissance dans la zone d’exclusion », résume Thierry Gauquelin.

le manque d'eau est la végétation méditerranéenne

Depuis les passerelles, les scientifiques étudient la canopée-photo O3HP

Une des études, menée par une équipe du CEA et de l’Institut de Biosciences et Biotechnologies d’AMU, en a déduit que le chêne pubescent, même atteint dans son métabolisme, pouvait résister au moins quatre ans à des épisodes de sécheresse forte et récurrente, grâce à des mécanismes antioxydants très efficaces. Au-delà, l’impact du stress hydrique aurait des conséquences sérieuses en termes de croissance végétale et de stockage du carbone.

Expérience prolongée

Malgré ces dix ans de recul, il est encore trop tôt pour tirer des conclusions définitives. Dans l’intervalle, aucune nouvelle espèce n’est en effet apparue ni aucune autre n’a disparue sur la parcelle soumise à un déficit d’eau. « La capacité d’adaptation que nous avons relevée est peut-être liée à la diversité génétique des arbres », s’interroge Thierry Gauquelin. L’expérience, prévue pour durer encore plusieurs années, livrera probablement d’autres réponses.