Après l’arrachage de 30 000 hectares d’oliviers dans les Pouilles (Italie), l’oléiculture française ainsi que les secteurs fruitier et viticole redoutent l’arrivée de la bactérie xylella fastidiosa. Christian Carnavalet, président d’Agribio 06, agronome et cultivateur bio, relativise l’angoisse générale.

CARNAVALET

Christian Carnavalet

Après l’épidémie italienne, la découverte cet été en Corse du Sud puis à Nice et à Rungis de plants d’ornement porteurs de xylella fastidiosa a retenti comme un coup de semonce. Les craintes sont-elles excessives ?

Elles sont totalement disproportionnées. Même en Méditerranée, chaque écosystème a ses caractéristiques propres. Le climat, le sol, les variétés végétales, les variétés d’insectes potentiellement vecteurs de la bactérie créent des conditions uniques. Il suffit de noter que les cas relevés en Corse et sur le continent ne sont pas de la même souche que la bactérie des Pouilles pour comprendre qu’il ne s’agissait pas d’une extension de la propagation. Alors je ne dis pas qu’un jour, on ne verra pas ailleurs se produire une nouvelle épidémie – la nature n’est pas prévisible. Mais il n’y a rien de transposable.

Tout de même, le drame des Pouilles n’est que la reproduction d’un phénomène qui affecte régulièrement les cultures fruitières des Amériques depuis 130 ans. Comment prévenir sa survenue ?

Xylella dans les PouillesIci comme dans tout autre cas en agronomie, la première façon d’aborder un problème bactériologique réside dans l’approche culturale. Lorsqu’une bactérie se développe de façon anormale, c’est qu’elle arrive sur un terrain dont les défenses immunitaires ont été détruites. Pour la plante, elles sont normalement constituées par la vie microbienne installée dans ses racines : s’ils sont présents en quantité suffisante, les autres bactéries et les champignons empêchent l’intrus de se développer à sa guise. Et c’est là tout l’intérêt de l’agriculture biologique. En écartant les engrais chimiques au profit de matières organiques qui favorisent le foisonnement de la flore microbienne, elle réunit les conditions de la vie.

Contrairement à ce qui a été envisagé s’agissant du maquis corse, xylella fastidiosa ne menacerait donc pas les milieux naturels ni vraiment les cultures biologiquement équilibrées mais essentiellement les plants affaiblis par une agriculture « conventionnelle ». Quoiqu’il en soit, existe-t-il des alternatives à l’arrachage ?

Si l’on prend l’exemple du « feu bactérien », maladie qui ressemble beaucoup à la maladie de Pierce provoquée par xylella fastidiosa sur les vignes, on retrouve dans un premier temps le même réflexe de la société agricole : lorsque les premiers arbres fruitiers ont été infectés, on s’est mis à tout arracher pour éviter la propagation. Puis on a su s’adapter et employer des moyens de lutte efficaces. Maintenant, ce qui était considéré il y a 50 ans comme une calamité est une chose avec laquelle on cohabite.

la maladie de Pierce en Californie

Mais d’après ce que l’on peut retirer du problème italien, il semble que plus rien ne soit possible une fois la bactérie installée…

C’est absolument faux. Les traitements curatifs existent. Si la situation en est arrivée là dans la région des Pouilles, c’est parce que les italiens ont complètement ignoré le sujet jusqu’à une sorte de point de non retour pour les arbres. En cas d’épidémie qui verrait le jour en France, alors que nous sommes prévenus, il paraît inconcevable d’imaginer qu’on ne réagirait pas en employant des moyens déjà bien étudiés par les agronomes,  qui ont fait leur preuves et dont la plupart sont utilisables y compris en agriculture biologique.

Ces moyens de lutte contre la bactérie, quels sont-ils ?

Les chercheurs brésiliens étudient en ce moment le recours à la N-Acétylcystéine (NAC), un acide aminé naturellement présent dans les organismes animaux et humains. C’est une molécule qui se dégrade très simplement dans le milieu naturel et qui, utilisée à dose infime, permet de freiner très efficacement les effets de la bactérie. Mais il y a aussi et avant tout les huiles essentielles comme le géraniol ou le thymol que l’on peut administrer sur les feuilles ou à l’arrosage. En quelques jours, la bactérie est tuée. Les huiles essentielles fonctionnent et sont étudiées depuis longtemps aux Etats-Unis mais ici c’est interdit. Il ne faut même pas en parler.

Pourquoi ce tabou à propos des huiles essentielles ?

Il y a une pression évidente sur les pouvoirs publics de la part de l’industrie chimique, qui est d’ailleurs en train de devenir complètement anachronique. Car ces mêmes industriels, réalisant que les systèmes qu’ils ont inventés ne tiennent plus, investissent très massivement dans l’agriculture biologique, cultivant des surfaces immenses dans les pays en voie de développement et rachetant autant de brevets que possible dans le secteur : ils ont eux-mêmes entamé leur reconversion de leur côté. Tout en continuant de peser chez nous pour le maintien de stratégies vouées à l’échec.


 Aller plus loin

Une bactérie tout terrain

la cicadelle vecteur de la maladieVéhiculée par les insectes dits piqueurs-suceurs, tels les cicadelles, les cercopes et parfois les cigales, xylella fastidiosa s’attaque principalement aux végétaux capables de produire du bois. Une fois introduite, elle obstrue les canaux où circule la sève, provoquant le flétrissement de la plante. De très nombreuses espèces d’arbres et d’arbustes, sauvages ou cultivés, sont concernées.

L’autre vecteur de transmission est l’homme, par le transport de plants infectés. On pense que la bactérie est arrivée en Europe sur des caféiers importés d’Amérique latine.


135 ans à affoler les champs

Les épidémies dues à xylella fastidiosa racontent une histoire assez récente, difficilement dissociable de celle de la monoculture intensive.

Au début des années 1880, un mal encore inconnu commence à s’emparer du vignoble californien. Décrite en 1892 par un pionnier de la phytopathologie, Newton Pierce, elle va ensuite se faire oublier pendant quarante ans, puis réapparaître par vagues jusqu’en Amérique centrale.

Parallèlement des épidémies similaires vont toucher d’autres espèces : amandiers ou pêchers dans d’autres Etats, orangers au Brésil… Si le lien est clairement établi dans les années 70 avec la maladie de Pierce, ce n’est qu’en 1987 que xylella fastidiosa sera formellement identifiée.

La première implantation de la bactérie hors Amériques se fera sur les poiriers taïwanais en 2002 avant de toucher les oliviers des Pouilles en 2013. Les Italiens appellent la maladie qu’elle provoque le CoDiRO (Complexe de dessèchement rapide de l’olivier).