Tawlet restos au Liban

En 2004, Kamal Mouzawak lançait à Beyrouth un marché de producteurs. En 2009, il ouvrait son premier Tawlet, restaurant sans chef… mais avec des cuisinières de villages. Dix ans après, il est en passe de réussir son pari : assoir un projet collectif dans un pays encore marqué par les divisions de la guerre.

Le restaurant Tawlet Beirut ne ressemble pas aux adresses branchées où socialise d’habitude la upper class de Beyrouth. Ici, pas de roof top ni de musique électro orientale pour encadrer les repas. Façade anonyme au pied d’un immeuble du quartier Mar Mikhael, le restaurant de Kamal Mouzawak joue volontiers la discrétion. La déco intérieure est certes bobo chic – plantes vertes, coussins design, cuisine ouverte sur la salle… – mais la table, elle, est sans affectation.

Tawlet un nouveau concept

Des pâtisseries faites maison sont aussi au menu (© Philippe Bourget).

Normal, les plats sont préparés par des femmes de village, des cuisinières non professionnelles reconnues pour leur savoir-faire dans leurs communautés respectives. Issues des campagnes ou des montagnes libanaises, elles viennent avec leurs produits achetés au village et leurs recettes pour officier à tour de rôle devant les fourneaux de Tawlet.

Dimension domestique

« Les chefs ont une attitude de patrons d’entreprises. Les cuisinières, à l’inverse, prennent soin de leurs clients comme s’il s’agissait de proches. C’est une dimension domestique que l’on a oublié », assène le fondateur du concept. Au menu, on ne trouve pas cette galerie de mezze longue comme le bras qui envahit d’ordinaire la table des restaurants libanais.

les cuisinières de Tawlet ne sont pas des professionnelles

Une cuisinière devant quelques saveurs libanaises… (© Philippe Bourget).

« Ce n’est pas ce que l’on mange à la maison tous les jours ! La cuisine libanaise quotidienne, ce sont des plats très rustiques à la campagne et parfois un peu plus sophistiqués en ville ». Tabboule, Frike, Zaatar Remmen, Mtabbal Koussa, Hommos, Mloukhye Atee, Atayef Kechek… la plupart des spécialités, peu connues des non initiés, sont présentées en buffet, préparés par des « mamas » de villages. Derrière ces noms et bien d’autres, se cachent les saveurs du concombre, des courgettes écrasées, du blé vert aux graines de grenade, du persil…

Formé à la gastronomie par des tantes

« Après la guerre, j’ai compris l’importance d’avoir des projets communs », éclaire Kamal Mouzawak, fils de paysan, ex professeur de cuisine et journaliste culinaire, formé à la gastronomie de terroir par des tantes. En 2004, il crée à Beyrouth le premier marché fermier de producteurs. Pas officiellement bio mais à quoi bon : les paysans viennent des villages alentours  avec des produits du jardin, pas ou peu traités. Ce marché existe toujours, les samedis matins, devant l’entrée des souks modernes El Arwan.

Kamal Mouzawak a fondé Tawlet

Avec fougue, Kamal Mouzawak défend la diversité de la cuisine libanaise, issue des quatre grandes régions du pays : la côte méditerranéenne, la montagne libanaise, la plaine de la Bekaa er l’Anti-Liban (© Philippe Bourget).

Cinq restaurants dans le pays

Trois ans plus tard, il fonde Food and Feast, des festivals culinaires de villages, avec grands repas collectifs pris sur la place centrale. C’est à l’issue de cette expérience qu’il décide de créer Tawlet et de faire travailler des cuisinières à Beyrouth.

Personnel permanent à Tawlet

6036 : Du personnel permanent est présent pour accompagner le travail des cuisinières « volantes », venues de tout le pays (© Philippe Bourget).

« Elles changent chaque jour, les plats aussi. C’est une véritable cuisine maison », dit Kamal Mouzawak. A l’entendre, il aurait fidélisé entre 80 et 100 cuisinières dans tout le pays. Payées 100 US$ par jour – une belle somme au Liban – elles travaillent à Beyrouth mais tournent aussi dans l’un des quatre autres Tawlet que l’entrepreneur a désormais ouvert dans le pays : à Ammiq, Saida, Beit El Qamar et Jrabta.

Hébergements en villages

On pourrait lui dire que ses restaurants ne sont pas low cost, que les prix d’un menu-buffet (45 000 livres libanaises HT, soit environ 27 €) restent réservés à la classe « hipster » du pays.

Resto Tawlet à Beyrouth

6032 : Une salle arty dans une rue excentrée du cœur de Beyrouth (© Philippe Bourget).

Il n’empêche, Kamal Mouzawak semble être confiant dans la capacité de la table libanaise à être le meilleur dénominateur commun d’un pays à fort communautarisme. « La cuisine est un pan très important de l’identité du Liban, elle n’a pas de religion. Chrétiens et Musulmans mangent la même chose », juge t-il. Lui pense toutefois que « le Liban est un pays du vivre ensemble… ou pas » mais veut tordre le cou à la deuxième partie de son assertion.

Tawlet a une forte fréquentation

6056 : Une clientèle urban chic fréquente le Tawlet Beyrouth (© Philippe Bourget).

Depuis quatre ans, il a lancé le projet Beit, des hébergements dans les villages où sont installés ses restaurants. Histoire de renforcer les échanges et la compréhension entre les communautés.

Tawlet Beirut – Mar Mikhaël
tawlet.com et beiteltawlet.com