En novembre 2018, l’UNESCO a inscrit « l’art de la construction en pierres sèches : savoirs et techniques », au patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Un dossier porté par huit pays européens et initié par une association varoise, l’ASER. Où comment une pratique ancestrale écologique se voit sanctuarisée et promise à un nouvel avenir.

Voilà une belle reconnaissance pour la Société scientifique internationale pour l’étude pluridisciplinaire de la Pierre Sèche (SPS)  Cette organisation de huit pays (Croatie, Chypre, Espagne, France, Grèce, Italie, Slovénie et Suisse) a été créée à l’initiative de l’ASER* (Association de Sauvegarde, d’Etude et de Recherche sur le patrimoine naturel eu culturel du Centre Var) et de son archéologue-anthropologue référente : Ada Acovitsioti-Hameau. Le classement venait récompenser six années d’efforts pour faire inscrire la « pierre sèche » au patrimoine mondial.

Terrasses en calcaire tendre à Entrecasteaux (Var), 2018 – Crédit : fonds documentaire ASER

 

Une reconnaissance mondiale initiée par la France

Elle en a pleuré, la doctoresse, tellement elle était émue et heureuse de voir aboutir ce long travail de reconnaissance. Il faut dire qu’elle a rédigé sa thèse sur les activités pastorales dans les collines varoises. Elle a étudié pendant de nombreuses années les usages et pratiques liés à la colline. Recensé les vestiges architecturaux même les plus modestes. Témoigné de l’action de l’homme dans ces milieux. Elle s’est attachée à identifier, étudier et décrire ces éléments appartenant au patrimoine vernaculaire de notre campagne. Dimension historique, technique, environnementale : tout y est passé. Un travail de fond pour comprendre les besoins, les enjeux et les comportements sociaux hérités. Et pour remettre en lumière des techniques anciennes qui ont aujourd’hui une valeur inestimable pour l’entretien, la préservation et la restauration des milieux agricoles et naturels.

Chantier de mur en pierre sèche – Crédit : Stéphane Hubert

 

La colline : espace identitaire des territoires ruraux

Lieu emblématique et sujet d’études pluridisciplinaires de l’ASER, la colline, dans de nombreux pays du monde, abonde de témoignages. Ils portent sur les pratiques, les usages et les édifices liés aux activités qui s’y exerçaient habituellement. Soit l’agriculture, bien sûr, mais aussi la cueillette, la chasse, la fabrication de la chaux, la conservation de la glace, la gestion et la conduite de l’eau du sous-sol, l’extraction de matériaux, le charbonnage… La colline était un lieu de vie très important pour les populations rurales qui y trouvaient les ressources pour se nourrir, se chauffer et s’abreuver. Et c’est dans ce milieu que la pierre sèche, matériau local par nature, a permis de construire les édifices nécessaires à ces activités.

Bâtir en pierre sèche est donc une technique paysanne. Elle consiste à agencer des édifices sans liant, en utilisant les ressources et les conditions du site. Cette méthode est observée depuis la préhistoire et on en trouve encore des traces dans les édifices gallo-romains du pourtour méditerranéen. Elle s’est transmise oralement et par la pratique, grâce à des agriculteurs, des forestiers, des ouvriers, des artisans spécialisés qui l’utilisaient quotidiennement.

Mur en pierre sèche rénové – Crédit : Stéphane Hubert

 

Sauvegarder, promouvoir, partager et transmettre

Ces connaissances acquises de manière empirique sont le résultat de plusieurs facteurs cumulés au cours du temps : la disponibilité du matériau, les conditions topographiques, la nature des sols et les savoir-faire humains. Elles peuvent paraitre anodines, tant les constructions sont en partie dénaturées ou frêles de nos jours. Et pourtant, elles sont subtiles, délicates et essentielles, car elles concourent à la richesse des paysages actuels. Elles démontrent la science et l’intelligence collective qui ont prévalues par le passé. Ces édifices constituent aujourd’hui des marqueurs universels et intemporels, témoins d’un art remarquable.

Ce savoir-faire et ces vestiges ont traversé les âges pour livrer dans chaque région du monde des exemples caractéristiques. Ils sont autant de signatures identitaires : les bories en Provence, les trulli dans les Pouilles, les gariottes du Quercy, les casellae en Ligurie, ou bien encore les chozos en Extremadure.

Et c’est bien cet art de construire de la sorte qui est en jeu dans le classement de l’UNESCO. La finalité est de sauvegarder les vestiges, de les reconstruire dans le respect des traditions et d’apporter aussi des solutions aux nouveaux enjeux du monde contemporain (gestion écologique des milieux, des risques naturels…). Voilà pourquoi ce classement, issu d’un travail de plusieurs pays, est si précieux et marque le début d’une longue mission de sauvegarde et de transmission de ces savoirs.

Chantier de calade – Crédit : Stéphane Hubert

 

Le murailleur, un artisan d’art

La Fédération Française des Professionnels de la Pierre Sèche joue aussi un rôle incontournable. Créée dans la fin des années 90, alors que le métier de bâtisseur en pierre sèche n’existait plus, elle a dû batailler pour faire avancer sa reconnaissance. Considérée à l’époque comme la « technique du pauvre », il n’y avait alors que des chantiers bénévoles ou d’insertion pour la pratiquer. Sans norme écrite, ni formation qualifiante ou école pour la dispenser, elle ne pouvait se revendiquer comme une technique moderne et donc être utilisée sur des chantiers professionnels. C’était sans compter sur l’abnégation de la fédération. Avec le soutien du Conseil régional de Région Sud Provence Alpes Côte d’Azur et de la Chambre de Métiers et de l’Artisanat de Vaucluse, elle a produit les outils indispensables à la création d’une filière économique reconnue.

Murs, petits ouvrages, calades… la réappropriation des techniques

Stéphane Hubert est l’un de ces « murailleurs ». Ancien dessinateur industriel et salarié de l’aéronautique, ce breton d’origine installé à Hyères a choisi d’en faire son métier. Il a toujours eu une attirance particulière pour la pierre. Il s’est essayé à la technique lors de chantiers bénévoles, puis au cours de stages. A l’occasion de l’un d’eux au Parc national de Port Cros, il a participé à la restauration d’un puits. Il a poursuivi sa reconversion en 2014 par une formation au CFPPA de Carméjane, à Forcalquier. Il pratique aujourd’hui en collaboration avec un autre professionnel, Julien Pétillon. A eux deux, ils assurent surtout des chantiers chez des particuliers pour la création ou la restauration de murs, de petits ouvrages ou de calades. Ils espèrent que le classement par l’UNESCO leur permettra de faire reconnaitre ce métier bien au-delà des initiés. Dans la pratique de cet art ancestral, ils ont une satisfaction toute particulière à s’inscrire dans les pas de leurs ainés. Et l’espoir de contribuer à sa transmission. Cette technique a traversé les âges et les civilisations et l’on redécouvre aujourd’hui la puissance et la beauté de sa maîtrise.

* L’ASER a participé à la préparation du dossier pour l’UNESCO avec plusieurs autres associations et particuliers. A l’origine, la proposition émane de la Chambre des Métiers et de l’Artisanat de Vaucluse (2011) et a été confiée à la S.P.S en 2012. 

Anne-Cécile Audra 

Retrouvez la vidéo de présentation réalisée dans le cadre du classement à l’UNESCO. 

Références bibliographiques :

A. Acovitsioti-Hameau, (2005), Côté colline. Pratiques et constructions de l’espace sylvopastoral en Centre-Var, Presses Universitaires de Provence, Aix-en-Provence, 334 p.