Lionel Tribollet presse le jus

C’est une idée toute simple, mais pleine de promesses. Presser, à domicile,  les fruits des récoltes invendables  et ceux, jusqu’ici perdus, des arbres abandonnés un peu partout dans nos campagnes. Pour fabriquer des jus de fruits naturels et délicieux.

C’est un  matin ensoleillé, à Roussillon. Lionel Tribollet presse chez lui 400 kg de pommes. Pour sa consommation personnelle, et pour celle des clients de ses chambres d’hôtes. Il s’est équipé pour 15 000 € d’un broyeur, d’un pressoir (il a récemment acheté un nouveau modèle adapté aux petits volumes et économe en eau de lavage),  d’un appareil pour la pasteurisation et aussi d’un véhicule pour transporter tout ça. L’activité est physique mais ne lui fait pas peur.

Lionel règle le pressoir à jus

Lionel Tribollet prépare son pressoir. Crédit Josiane Bouillet

Idée anti-gaspi

Quatre ans qu’il a lancé son activité d’artisan presseur, Jus Pur Lub. Après avoir travaillé dans l’éducation à l’environnement pour une association et pris un congé parental de 3 ans, il a préféré ne pas retourner dans un bureau. Et a cherché une activité plus concrète en accord avec ses idées. « J’observais pas mal d’arbres dans la campagne, dont personne ne ramassait les fruits. Même des vignes entretenues n’étaient pas vendangées », regrette-t-il encore. Lui-même possède huit pommiers qui donnent beaucoup de fruits.

Il s’est donc intéressé à la question du jus. A suivi une formation pendant un an auprès de l’association « Fruits d’avenir » de Digne (04). Et il s’est lancé dans le pressage à domicile, nanti d’une aide de la structure  Initiative Luberon et d’un prêt d’honneur de 3000 €. Ses jus sont purs, naturels, sans aucun additif. Il est  certifié bio mais produit aussi des jus qui ne le sont pas.

Les bouteilles de jus de fruits

les jus de fruits naturels de Jus Pur Lub

Ses clients ? Particuliers, producteurs, associations.

Justin Reis est chevrier à Apt. Lui a l’habitude de glaner sous les arbres abandonnés, en famille. Des pommes, des poires, des coings, du raisin… Il fait presser ses récoltes par Lionel. Contre 1€ 57 la bouteille. Il en a récupéré une centaine. Et le principe l’a séduit. « Ca permet de boire de bons jus toute l’année. Mon fils en a apporté à l’école. Plutôt que d’offrir un objet inutile, emballé et produit loin, on fait des cadeaux qui ont du sens. On confectionnait des confitures, du coulis, des biscuits… Maintenant, on offre des jus pour Noël, par exemple ». Lionel travaille désormais avec une proportion de 80% d’agriculteurs et 20% de particuliers.

Un créneau porteur

Ainsi de Frédéric Soula, agriculteur bio en agro-foresterie à l’Isle-sur-la-Sorgue depuis 2002. Son verger compte de nombreuses variétés.  Lionel a pressé pour lui des fraises destinées à la fabrication de glaces artisanales. Un gros avantage pour lui.

Le jus coule

le jus coule du pressoir dans le seau

« Ca m’a simplifié les choses. Les autres transformateurs ont des exigences de gros volumes, et il fallait que le labo soit libre… » explique-t-il. « Là c’est plus facile de se coordonner, d’enchaîner récolte et traitement. J’ai juste à poser l’étiquette, le jus est déjà pasteurisé. »

Fort de cette expérience positive, l’agriculteur a fait presser des pommes qui ne pouvaient pas être vendues. « Cela valorise une production non standard. Avant, ça restait par terre… Mais de toute façon, laisser les fruits au sol, c’est s’attendre à un  problème sanitaire l’année suivante ».

Les cueillettes solidaires

l'équipe de glanage du Village

l’équipe du Village au glanage

Autre type de partenaires avec qui le pressoir itinérant a travaillé, l’association Le Village, à Cavaillon. Un chantier d’insertion  de cueillettes solidaires y est animé. Les glaneurs sont les résidents du Village, ou des personnes qui fréquentent les accueils de jour ou les centres sociaux. Une trentaine de personnes ramasse chez des producteurs, épinards, haricots verts ou betteraves, mais aussi pommes, poires et cerises. L’agriculteur est débarrassé sans frais de produits hors calibre, non vendables en fin de saison, et peut recevoir un reçu fiscal.

Lien social

Les glaneurs participent en commun à une activité, recréent du lien social, et préservent l’environnement en luttant  contre le gaspillage.

Anne Deransart et les résidents

Anne Deransart et des résidents fiers du jus tiré du glanage

Le produit des récoltes solidaires est partagé entre eux, la cantine du Village et d’autres associations. Et depuis que Lionel avait proposé son pressoir mobile, les fruits étaient transformés en jus  vendus au Village.

Pressoir en fête

lLe pressoir mobile au Village

Quand le pressoir mobile est au Village, tout le monde donne un coup de main

« Quand le pressoir arrive ici, tout le monde vient voir, goûter le jus. C’est une activité très conviviale, » explique Anne Deransart, coordinatrice-animatrice des cueillettes solidaires. « Cela valorise aussi l’activité de glanage. Le fait qu’il se déplace ici, ça donne à tout le monde une idée complète du process. La bouteille de jus a  d’autant plus de valeur… C’est un vrai produit du Village ». La collaboration s’est malheureusement arrêtée l’an dernier quand l’association a décidé de monter son propre projet de pressoir…

Rayon de 30 km

Lionel Tribollet presse dans un rayon de 30 km, pour rester cohérent avec sa démarche anti-gaspi mais aussi économe en énergie. C’est pourquoi il réfléchit à plusieurs problèmes. Celui des bouteilles de verres, celui de la quantité d’eau qu’il utilise, notamment pour laver les fruits. Et aussi celui de la purée qui reste dans son pressoir après extraction du jus.  A chaque question, plusieurs solutions envisagées : consigne des bouteilles, filière de nettoyage, recyclage, compostage, unité de méthanisation…

les résidus du pressage

le « gâteau », résidus du pressage des pommes

Des projets plein la tête

Comme celui de mutualiser les récoltes glanées dans les villages par exemple. Justin le chevrier trouve l’idée excellente. « Ce qui est intéressant dans sa démarche, c’est d’arriver à constituer un réseau. Et la possibilité d’entretenir les vergers abandonnés pour qu’ils ne disparaissent pas. Lionel pourrait passer un contrat avec les glaneurs pour qu’ils taillent aussi ». Lionel Tribollet développe également sa propre gamme de jus. De plus en plus de restaurants et lieu de visites les vendent, à l’instar du restaurant Les Valseuses, à Apt. « Cela contribue à promouvoir mon activité et montre l’intérêt et l’envie des clients d’avoir des produits locaux », dit-il.

Des jus de fruits à l’affiche de certains restaurants, comme ici aux Valseuses, à Apt. Crédit Philippe Bourget

Cercle vertueux

Bref, en créant son propre emploi, Lionel Tribollet a lancé un vrai cercle vertueux : lutte contre le gaspillage, utilisation de ressources locales, préservation de l’environnement, liens sociaux, et offre de consommation de produits naturels et savoureux !