Du 4 au 6 juin derniers, l’association Forêt Modèle de Provence invitait les acteurs concernés par le sort de la forêt privée à une belle tournée à travers les Bouches-du-Rhône et le Var. Avec en entame un colloque et une première visite de domaine permettant d’appréhender certains des enjeux de la forêt privée, poumon vert de la Provence.

Un colloque par et pour les acteurs de la forêt

En région PACA, les deux tiers des forêts s’étendent sur des propriétés privées, très morcelées et dont la gestion s’avère passablement compliquée. Qu’à cela ne tienne, face à l’adversité et malgré des débouchés économiques limités, la filière privée s’organise de plus en plus, notamment par des regroupements de gestion. Avec l’appui de l’association Forêt Modèle de Provence, elle prend le tournant du développement durable dont les impératifs sont désormais intégrés aux campagnes de coupe.

La suberaie

Car c’est peut-être un poncif mais rappelons-le quand-même, un massif ayant perdu depuis longtemps sa qualité de forêt primaire a besoin d’être entretenu. Tant au niveau du sous-bois, jadis laissé aux bons soins du pastoralisme, que de la futaie où le non prélèvement d’arbres peut finir par l’étouffer. Au contraire, la prise en charge de la forêt par l’homme contribue à la fois à prévenir l’incendie et à préserver la biodiversité. Le gentil Idéfix – qui en nous tous sommeille – peut donc fermer tranquillement un œil : « abattre » un arbre en sauvera peut-être deux ainsi qu’une multitude d’éléments de l’écosystème (même si dans le milieu, on préfère parler de « coupe », c’est quand même moins barbare).

Un entretien indispensable pour l’avenir des massifs

Pour autant, un tel service rendu à la collectivité et à la nature – autant qu’à son propre patrimoine car un propriétaire forestier est le premier sensible à la question de l’incendie – ne se décrète pas uniquement par sa nécessité. Encore-faut-il en avoir la volonté et les capacités. Et si l’ONF1 assure la mission pour le domaine public, les propriétés privées se trouvent totalement livrées à elles-mêmes. Avec des parcelles très souvent morcelées et éloignées des accès, difficile en effet de proposer un chantier cohérent à un exploitant forestier. D’où la nécessité de se regrouper.

Unis autour du projet Forest-in

Outre la présentation des lieux de visites, l’un des objets du colloque introduisant la tournée de l’association a ainsi été de présenter aux propriétaires les différents outils et exemples de réussite en terme de gestion forestière groupée (GIEEF2 des Ocres de Roussillon, et ASL3 de la Suberaie4 Varoise), les conditions à remplir en termes écologiques, les appuis publics à travers le CRPF5 et les allègements fiscaux. Mais aussi le projet européen Forest-in (programme Erasmus+, dont Forêt Modèle de Provence est partenaire) en faveur du développement durable.

Des solutions multiples

Ont également été évoqués les soutiens privés qui se développent comme c’est le cas entre la société du Tour de France et un groupement forestier du Plateau d’Albion. Il s’agit là d’une transaction de crédits carbone – autrement appelée « droit à polluer » par certains – dont le principe, quoique difficilement défendable dans sa globalité, n’en constitue pas moins aujourd’hui une chance pour les massifs forestiers.

Dominique Moullard au domaine de Valdonne

Par ailleurs, comment jauge-t-on la qualité d’une gestion forestière sur un plan écologique ? À Peypin, le domaine de Valdonne, propriété familiale gérée par Dominique Moullard, est planté d’essences variées : chênes, séquoias, noyers, pins… Sur cette espace exploité, riche en biodiversité et accueillant des activités cynégétiques (chasse), Marie de Guisa veille scrupuleusement aux évolutions de la biodiversité, recensant insectes, traces d’animaux et espèces végétales présentes.

Atteindre un équilibre

Chargée de mission PEFC6 PACA, c’est elle qui permettra au domaine de conserver un label de certification devenu presque incontournable sur le marché du bois. Mais attendez, PEFC… comme dans Cash Investigation sur France 2 qui criait au label « en bois » ? Eh oui, mais là ce serait un débat à ouvrir, y compris sur la méthode journalistique. Pour sa part, Marie de Guisa, arguments et conviction manifeste à l’appui, réfute avec force le portrait fait de son organisation fin janvier. Tout en reconnaissant que les conditions de sélection des exploitations forestières ont évolué depuis le reportage…

Canons de liège dans les Maures

Présents comme bénéficiaires du projet Forest-in lors de ces pérégrinations, des propriétaires ibériques étaient très attentifs aux explications données. Et particulièrement étonnés d’apprendre les faibles tarifs obtenus à la coupe par leurs homologues provençaux. On imagine des progrès attendus à ce niveau, non seulement par équité mais aussi afin d’encourager plus de propriétaires à contribuer à l’entretien des massifs. Mais il faut aussi concevoir qu’un système ne privilégiant pas la rentabilité à tout prix est le gage d’une véritable gestion durable. Tant pour le bien du milieu que pour la pérennité de son exploitation. Un subtil équilibre à atteindre.

Yann Batlle

 

Pour aller plus loin…

Rémi Clérin au champ

Forêt, mais pas que… De tous temps, la forêt s’est dessinée en relation avec les activités existant à sa bordure ou dans ses ramures. Au fil des massifs de l’Étoile, du Garlaban, de la Saint-Baume et de Maures, Forêt Modèle de Provence invitait dans sa tournée à regarder par delà les pratiques purement sylvicoles. Au menu, sylvo-pastoralisme, agro-tourisme en truffière ou agro-foresterie.
Pour cette dernière proposition, la tournée s’est arrêtée un moment à la Font de Mai d’Aubagne, où le jeune agriculteur Rémi Clérin (Ferme de Ravel à la Treille) vient de mettre en culture une toute nouvelle parcelle : du maraîchage bio en permaculture et en milieu péri-forestier. Bonne chance à lui !

« Forêt Modèle », pour quoi faire ? Regroupées en un réseau mondial, les Forêts Modèles sont des initiatives de grande envergure et à participation volontaire. Ils lient la foresterie, la recherche, l’agriculture, l’exploitation minière. Mais également les activités récréatives et d’autres valeurs et intérêts rencontrés dans un paysage donné.
Chaque Forêt Modèle est un « forum de gouvernance neutre, représentatif, participatif, transparent et responsable ». Il se base sur des activités partagées en réseau visant la gestion durable des ressources naturelles en milieu forestier.

1 ONF : Office national des forêts
2 GIEF : Groupement d’intérêt économique et environnemental forestier
3 ASL : Association syndicale libre
4 Suberaie : forêt de chênes liège
5 CRPF : Centre régional de la propriété forestière
6 PEFC : Programme de reconnaissance des certifications forestières