Près d’un million de Français vont chaque jour chez le coiffeur. Grâce à l’association Coiffeurs Justes de Thierry Gras, patron d’un salon dans le Var, des tonnes de cheveux coupés entament désormais une seconde vie. Objectif : les recycler, en mode solidaire, en produit dépolluant et isolant.

Il était une fois un coiffeur, Thierry Gras, exerçant avec passion à Saint-Zacharie, dans le Var. Depuis trente ans, il taille, colore, coupe, brushe et ajuste les chevelures de ses clients. Et il n’a pas fini de le faire, tant cette matière possède des propriétés esthétiques et physiques extraordinaires. « Le cheveu est hydrophile et lipophile. Il est également très résistant, incompressible et imputrescible, c’est une matière fabuleuse ! ». Ces caractéristiques en font un produit très intéressant pour dépolluer les eaux des hydrocarbures et des huiles solaires et aussi pour augmenter la résistance des matériaux de construction.

4 000 tonnes de cheveux coupés par an en France

Alors, il a voulu faire sa part pour engager la profession dans une démarche durable. « Je pense depuis 30 ans à faire quelque chose avec les cheveux. Je me disais que quelqu’un devait y avoir déjà réfléchi ». Mais non !

Illustration « Collecter les cheveux pour les recycler ». Crédit Coiffeurs Justes-Territoires Branding (Photo de Une : Thierry Gras. Crédit Coiffeurs Justes)

Quand il se renseigne, il ne trouve aucune filière en place, pas même une expérimentation. Il décide de fonder en 2015 l’association Coiffeurs Justes, pour donner une nouvelle vie aux 4 000 tonnes de cheveux coupés par an en France. Ils représentent 50 % des déchets des près de 85 200 salons de coiffure de l’Hexagone. Autant dire que la disponibilité de la ressource est là et que chaque territoire, quel que soit ses atouts ou ses contraintes, en dispose. Une vraie opportunité pour ce pionner qui prône également l’équité tarifaire hommes-femmes dans les salons.

La Provence Verte et Ecoscience Provence associés

Problème, il faut partir de zéro, puisque personne ou presque n’a inventé de modèle sur cette ressource naturelle. « Pendant des années l’industrie plastique a étouffé cette opportunité de recycler le cheveu. Pourtant, il n’est pas cher et inépuisable ».

Kelly Languetin, Présidente des Boucles du Léman, Comité de Coiffure Suisse Section Vaud, participe à la collecte. Crédit Coiffeurs Justes

Mais le temps du cheveu est venu ! Aux Etats-Unis, des tests sont menés depuis 2010 au Texas et en Californie par l’association Matter of Trust. L’idée l’inspire et il noue un partenariat avec les acteurs locaux du bassin de la Provence Verte*, auprès de qui il réussit à imposer son idée. L’association Ecoscience Provence, à Brignoles (Var), apporte son expertise scientifique. Grâce au programme européen LEADER, l’étude de faisabilité et l’expérimentation pour des filtres à hydrocarbures est financée et lancée dans le port de Cavalaire, toujours dans le Var (également certifié « Port Propre »).

Une économie circulaire

La démarche, en plus d’être écologique, est solidaire. Le cycle du cheveu démarre dans les salons, où la matière première est donnée gratuitement par plus de 3 000 coiffeurs en France. Il se poursuit dans des ESAT (Etablissements et Services d’Aide par le Travail) où des travailleurs sociaux récupèrent et traitent la ressource, pour ensuite vendre aux collectivités locales les produits filtrants et dépolluants, assurant une ressource financière non négligeable pour ces établissements. Une vraie filière circulaire, économiquement viable, sociale et solidaire. L’association Coiffeurs Justes, elle, se finance grâce aux adhésions des salons.

Boudins de cheveux recyclés

Comment se déroule le processus ? (reportage Télématin, 6 février 2020). Les coiffeurs adhérents sont équipés de sacs de collecte des cheveux, fournis par l’association.

Les sacs à cheveux pour la collecte. Crédit Coiffeurs Justes

Ils les remplissent sans tri ni traitement préalable. Ces sacs sont ensuite collectés et livrés à l’AVAF de Brignoles (Association Varoise d’Accueil Familial), partenaire principal de l’expérimentation locale. Là, les travailleurs sociaux façonnent des boudins de cheveux recyclés en les insérant dans des tubes de textiles ressemblant à des bas nylons. 1 kg de cheveux par boudin, assemblés entre eux pour former une chaîne de dépollution.

Dépollution en mer…

Livrés au port de Cavalaire, ils vont équiper les bateaux pour limiter la pollution résiduelle due aux dégazages. Ils peuvent être placés en mer en cas de marée noire ou à proximité des zones d’avitaillement pour capter les hydrocarbures. 1 kg de cheveux peut filtrer jusqu’à 8 l d’hydrocarbures, traités dans les filières dédiées. Ils filtrent aussi les huiles solaires, pollution beaucoup plus dispersée mais néanmoins très présente sur nos côtes. La technique peut aussi être utilisée en rivière et dans les bassins de rétention des zones industrielles, là où il y a de l’eau à dépolluer.

… et usage durable en construction

Mais l’innovation ne s’arrête pas là. Le cheveu étant imputrescible, il est lavé et réutilisé entre 6 et 10 fois pour un usage en dépollution. Après, il peut être recyclé dans le secteur du BTP pour être ajouté dans les matériaux de construction.

Illustration « Adhérer à la démarche Coiffeurs Justes ». Crédit Coiffeurs Justes-Territoires Branding

Grâce à ses propriétés mécaniques, il augmente la résistance des matériaux, le confort phonique et peut même servir d’abrasif. En agriculture, le cheveu peut devenir un engrais organique très riche pour un amendement des sols plus responsable (voir encadré ci-dessous). Dans le cheveu, rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme.

Un succès au-delà  des frontières

Côté fournisseurs, Thierry Gras a réussi à convaincre des coiffeurs en France mais aussi en Suisse et en Belgique. « Nous sommes 3 000 salons partenaires. Fin 2020, j’espère atteindre le seuil de 5 000 « apporteurs », nous explique-t-il. De grands groupes du secteur sont aussi partenaires (F. Provost, Davines, J. Seban, J. Dessange, Vela, Revlon…). Côté clients, les demandes proviennent de nombreuses collectivités, de France (le Bassin d’Arcachon, par exemple) mais aussi d’Europe et même, dernièrement, du Paraguay. Un succès grandissant, qui impose de valider le modèle technique et économique pour dupliquer ce système de recyclage local et le déployer. L’aventure de la « seconde vie » du cheveu ne fait que commencer.

* Sont également partenaires de l’association Coiffeurs Justes : le Pays de la Provence Verte, le Parc Naturel Régional de la Sainte-Baume, la Région Sud et l’Union Européenne.

Pour en savoir plus

Voir la vidéo de présentation https://www.youtube.com/watch?time_continue=6&v=WHiq_H9-m-I&feature=emb_title

Un débouché en agriculture ?

L’usage est plus délicat dans ce secteur car les cheveux collectés ne sont pas triés (sinon ce serait très compliqué), donc ils peuvent être colorés avec des produits chimiques. Ce qui empêche une utilisation sur des cultures alimentaires. Thierry Gras pense qu’il vaut mieux les réserver aux plantes d’agrément. Il reste encore des recherches à faire sur la capacité d’amendement des cheveux pour les sols (en mélange avec du compost, avec des proportions à définir pour un faire un produit commercialisable). Ce n’est pas encore une filière mûre pour la mettre en place à grande échelle. Enfin, certains pensent aussi aux cheveux, imprégnés d’odeurs humaines, pour faire fuir les animaux nuisibles dans les champs. Thierry Gras croit que c’est un peu un mythe car beaucoup d’animaux (les sangliers, par exemple) sont habitués à notre odeur et que ce ne serait pas vraiment efficace. L’association n’a pas misé pour l’heure sur ce recyclage à cause de ces contraintes qui ne permettent pas de créer une filière économiquement viable à ce jour.