Richard Trinh

L’histoire est peu connue. Le riz de Camargue, emblème et richesse économique de la région est né du travail et du savoir-faire d’une poignée de paysans vietnamiens réquisitionnés au pays.

Salin de Giraud : au cœur de cette terre mêlée d’eau où se perd le regard, dans le jardin de la mairie annexe, lieu républicain s’il en est, s’élève la frêle silhouette métallique d’un paysan de rizière asiatique. Il porte la houe et il est coiffé d’un turban. Une stèle pour rendre hommage aux 20 000 travailleurs indochinois  de la 2e Guerre Mondiale.

Le savoir-faire asiatique

Quel mystère recèle cette évocation, qui semble effacer les 10 000 km séparant la Camargue du Viet-Nam ?

Pour le percer, il faut remonter aux années 1940. Le riz en Camargue n’a fait l’objet que de quelques tentatives pas vraiment réussies. Tout au plus en sème-t-on pour dessaler les terres et nourrir les animaux. En 1935 aucune parcelle n’a été ensemencée. Mais pendant la guerre, la pénurie s’installe. D’où l’idée d’utiliser la main d’œuvre indochinoise présente sur place pour lancer la culture du riz à grande échelle.

(voir « un peu d’histoire »).

500 travailleurs indochinois sont alors affectés à la création des rizières. Leur savoir-faire et leur technique va faire merveille : 250 ha sont mis en culture en 1942, 400 ha en 1944.  800 tonnes  sont récoltées la première année, 1250 à la fin de la Guerre. La main d’œuvre expérimentée a jeté les bases de la richesse à venir de la riziculture camarguaise.

Les rizières de la souffrance

Mais ces pionniers n’ont pas eu la vie facile. Logés dans des conditions précaires, mal équipés, soumis au mistral glacial l’hiver, aux nuées de moustiques l’été… Et comme tous les ONS, ni salaire, ni sécurité sociale, ni retraite.

Rizière de Camargue aujourd'huiTrinh Xuân Bô le Camarguais

Il avait 24 ans, parlait plusieurs langues dont le français parfaitement et il est arrivé  à Marseille par le dernier bateau, le 10 juin 1940. Affecté aux Salines, puis à Fréjus, il va rester en Camargue où il fonde une famille, comme un millier de travailleurs indochinois. Ses trois fils sont toujours en Camargue.

Renouer avec la famille Viet-Namienne

A sa mort en 1972, les enfants de Trinh Xuân Bô apprennent qu’il avait laissé un fils au Viet Nam. Dans les années 2000, contact est pris et les liens sont retissés avec ce frère inconnu et ses descendants. « De sa vie là-bas il n’a rien dit. Nous savions seulement qu’il avait été réquisitionné, que le voyage avait été long, sur une mer déchaînée… Il a choisi la France mais s’il avait expliqué, les choses auraient été moins difficiles pour lui » souligne aujourd’hui son fils Richard.

Président de l’association Mémorial pour les Ouvriers Indochinois, Richard Trinh s’est battu pour qu’un monument national rende hommage à tous ces travailleurs que la France a oublié de remercier. Que la stèle soit érigée en pleine Camargue a une haute valeur symbolique. Ici presque à mains nues, ces paysans ont jeté les bases d’une filière agricole prospère.

www.travailleurs-indochinois.org/stele.htm#LIEU

Aujourd’hui l’Association M.O.I. poursuit ses activités. Son objectif est de permettre aux familles mixtes de se retrouver, d’approfondir ces relations entre France et Viet-Nam et de faire vivre le souvenir de ces travailleurs immigrés de force.


 

La-stèle-Salin-de-GiraudHommage nécessaire mais bien tardif

Le Mémorial a été inauguré le 5 octobre 2014. C’est une vraie reconnaissance de la République pour ces travailleurs. Ce jour-là, le Maire d’Arles, Hervé Schiavetti a souligné combien la Camargue est terre d’immigration et combien «l’accueil qui leur a été fait a parfois été chaleureux mais aussi stigmatisant, hostile, source de souffrance ». Quand au Président  du Syndicat des riziculteurs, Bernard Mazel, il a déclaré : «  La riziculture française vous doit beaucoup, et les Camarguais ne vous oublieront jamais. »

www.arles-info.fr/2014/10/05/a-salin-de-giraud-hommage-aux-travailleurs-indochinois


Un peu d’histoire

Dans les années 1939/40, la France amène de force dans « la mère patrie » 20 000 travailleurs indochinois. L’empire colonial compte alors sur eux pour remplacer les français dans les usines. On les appelle les ONS, ouvriers non spécialisés.

www.immigresdeforce.com

Pour la plupart ces jeunes paysans illettrés sont arrachés à leur village du Viet Nam. Ils vont travailler dans les conditions les plus difficiles d’abord dans les usines d’armement, puis à des travaux agricoles ou de déforestation, certains dans l’organisation Todt. Mal logés dans des camps, mal nourris, peu ou pas payés. Un millier mourra de maladies et mauvais traitements, un autre millier restera en France et y fondera une famille, les autres seront ramenés chez eux après de longues années d’exil. Et la France oubliera bien vite cet épisode peu glorieux de son histoire.


Pour aller plus loin

-Sur l’origine de la culture du riz en Camargue :
www.travailleurs-indochinois.org/riziculture.htm

-Sur le Mémorial :
Le livre du journaliste Pierre Daum (2009) : « Immigrés de force, les travailleurs indochinois en France (1939-1952) chez Actes Sud
www.immigresdeforce.com

-Le site animé par Joël Pham, fils d’un travailleur indochinois
www.travailleurs-indochinois.org

-Le film du réalisateur Lam Le « Cong Binh la longue nuit indochinoise »
www.congbinh.net