
Après 700 représentations en France et en Belgique, la pièce de théâtre a séduit le public du festival off d’Avignon 2025. Fils d’agriculteurs et comédien, Charles Culot y trace -dans une démarche d’écoute de la parole des agriculteurs- l’évolution du monde agricole. À vous chavirer le cœur.
La scène : Dans le magnifique jardin de l’ancien Carmel, le Théâtre du Train Bleu offre un espace à ce récit qui vient de la terre. Des gradins ombragés remplis de spectateurs. Sur la scène, trois bottes de paille, une fourche, des chaises autour d’une table de cuisine recouverte d’une toile cirée, le lustre en faïence désuet, des bidons… l’un de lait, les autres de produits (chimiques sans doute…). Et puis un grand écran sur lequel seront projetés des photos et des extraits d’interview.


Paroles d’agriculteurs, des témoignages poignants
Car la pièce est bien un spectacle de théâtre, avec une mise en scène réussie et deux comédiens professionnels, mais c’est aussi un témoignage. Celui de dizaines et de dizaines d’agriculteurs que Charles Culot et Pauline Moureau, comédienne elle aussi, munis de leur petite caméra, ont recueilli au fil des années.
« Tout est parti des propos, en 2011, d’un agriculteur qui constatait l’écart de plus en plus grand entre les agriculteurs et les citadins, explique le jeune comédien. Avec Pauline, nous sommes allés à la rencontre d’une soixantaine de familles en Belgique et en France ».
« Le monde agricole est le miroir de la société »
Sur scène, sous le champ des cigales, les deux comédiens incarnent les témoignages et alternent avec des vidéos de leurs interlocuteurs. En résultent des propos très forts et émouvants. « Le producteur ne gagne jamais, c’est toujours le commerçant… Le GATT, l’OMC, l’endettement, la fuite en avant… Avec tous ces contrôles, on n’a jamais l’esprit libre, quand je donne un cachet à une bête, je dois le noter ! Pour avoir une aide, il faut justifier de s’agrandir, on est en concurrence entre nous, les agriculteurs sont les esclaves du 20e siècle ».
Au bout du chemin, un taux de suicide -et de maladies- record, des pertes de fermes et d’emplois par milliers, la hausse dramatique de la dépendance alimentaire, quand cinq multinationales contrôlent 100% de l’alimentation mondiale.
« L’avenir est dans le pré »
Mais, si entre 2011 et 2014 les crises ont succédé aux crises, entre 2015 et 2020, les jeunes comédiens constatent une vague d’espoir dans les champs. Agroécologie, transition, film « Demain », manifestations dans le monde entier et Green Deal européen… De nouvelles figures émergent et la société civile s’exprime…


À la campagne, de nombreux NIMA (non issu du milieu agricole) s’installent avec des projets différents qui tournent le dos au système agro-industriel, sa démesure et sa chimie. Ils apprennent ou réapprennent à aimer et soigner leurs sols, leurs plantes et leurs animaux et veulent nourrir correctement la communauté qui les entoure. « Remplacer une agriculture de masse par une masse d’agriculteurs » ! Ces néoruraux que rencontrent Charles et ses collègues veulent favoriser la biodiversité : « On ne met plus d’engrais, et la terre répond, c’est une source de joie ! ».
La Bio et l’agroécologie, ça marche !
Les petites fermes prétendent nourrir le monde (d’ailleurs, elles le font déjà, selon la FAO). Mais les plus grosses aussi peuvent être rentables et vertueuses. La pièce évoque le travail de Benoît Biteau, en Poitou-Charentes, qui a sorti l’exploitation familiale de 300 hectares du système conventionnel. Plus d’irrigation, plus de maïs hybride mais de l’agroforesterie, des animaux, des prairies, et une ferme qui désormais séquestre plus de CO2 qu’elle n’en produit.


Mais en 2021, l’Europe vote à nouveau pour une PAC (Politique Agricole Commune) en faveur de l’agro-industrie, prime à l’hectare, et recul de l’aide au Bio, retour des pesticides et des OGM. Depuis, les manifestations et les crises s’enchaînent : revenus agricoles en chute, épizooties, eau polluée, présence de PFAS et en France, la récente loi Duplomb, qui soulève une vague de contestation inédite dans la société.
Le théâtre, vecteur de débats et d’actions
« La prochaine PAC sera votée dans deux ans », précise Charles Culot sur scène… La fin de la pièce est accueillie par un tonnerre d’applaudissements et suivie d’un débat avec un géographe de l’INRAE qui travaille sur les conséquences du changement climatique.
La Compagnie Adoc joue bien sûr dans des théâtres et des festivals comme Avignon mais aussi dans des fermes, des villages, des écoles, invitée par des associations, des mairies ou des agriculteurs. « On parle à tout le monde, remarque Charles Culot. Rien n’est jamais gagné, on doit changer d’alimentation mais aussi aller voter ».


« Il y a urgence à faire tout ce que l’on peut avec nos moyens, nous c’est avec le théâtre, et c’est une consolation d’être entourés. On donne des pistes, on rassemble », se réjouit Pauline Moureau, la comédienne (qui joue en alternance avec Valérie Gimenez).
En mars prochain, ils reviendront jouer à Avignon, mais Paris est aussi à leur agenda. Grâce au théâtre, ils rencontrent un public pas forcément averti et déjà militant. Et sèment dans les consciences, avec force, tendresse et beaucoup d’émotion de petites graines porteuses d’espoir.
« Nourrir l’humanité, c’est un métier » Adoc Compagnie
Théâtre documentaire au cœur du monde agricole – Création collective
Mise en scène : Alexis Garcia – avec Charles Culot et en alternance Pauline Moureau et Valérie Gimenez – Administration Joëlle Wertz 0032 49873 35 94