Vue d'architecte du parc des Aygalades

Le projet de transférer les trains de marchandises de la gare du Canet vers le terminal de Mourepiane va permettre de créer un grand parc urbain pour les quartiers Nord. Mais les riverains du port craignent une pollution accrue.

Transférer des camions sur des trains, et créer un parc urbain en prime. Un projet parfait ? Le transfert du fret ferroviaire de la gare du Canet (Marseille 14e) vers le terminal maritime de Mourepiane (Marseille 16e), est soumis à enquête publique depuis le 10 janvier et jusqu’au 21 février. Sur le papier, tout semble idéal : le projet prévoit 60 millions d’euros de travaux, pour une remise en service début 2026 du raccordement ferré de Mourepiane. Conduit par le Grand port maritime de Marseille-Fos (GPMM) et par SNCF-Réseau (SNCF-R), le chantier permettra de fermer la gare du Canet. En de la transformer à l’horizon 2031 en grand parc urbain de 16 hectares. Le premier parc de ce gabarit pour les quartiers Nord de Marseille.

Portique conteneurs à la gare du Canet, dans le Nord de Marseille

Un portique à conteneurs dans la gare du Canet, à Marseille (photo F. Latreille | Licence CC)

 « On est sacrifiés »

Pourtant, tout le monde n’applaudit pas à ce projet. En bordure du port, les riverains sont inquiets. « On est très heureux pour les habitants du Canet, ils avaient un bruit terrible autour de la gare pour l’assemblage des trains de marchandises. Mais pour nous trop c’est trop, souligne Elisabeth Pelliccio, présidente du comité d’intérêt de quartier (CIQ) de Saint-André, le quartier qui longe le terminal maritime. On a déjà le terminal conteneurs qui décharge de nuit dans un bruit pas possible, les éclairages du port qui nous empêchent de dormir… Et maintenant on nous dit qu’on va avoir encore plus de trains, et encore plus longs ! On est sacrifiés. »L’association Cap au Nord est sur la même ligne : après plusieurs réunions avec les riverains, elle a lancé une pétition en ligne pour contrer un projet qui risque d’amener « plus de pollution atmosphérique avec des locomotives diesel, des camions supplémentaires, plus de pollution sonore… ». En 2015, une première version du projet avait déjà recueilli un avis défavorable par le commissaire enquêteur. Un fait rarissime dans ce genre de procédure.

Plus ou moins de camions ?

Nouvelle enquête publique oblige, le GPMM et SNCF-R ne souhaitent pas répondre aux questions de la presse. Ils renvoient sur le site internet de la concertation, ainsi que sur les nombreuses études techniques jointes au dossier. Celles-ci sont elliptiques : « il est possible que le nombre de poids lourds portuaires avec le projet se situe, dans vingt ans, un peu au-dessous ou au-dessus du niveau de 2026 » note l’étude de trafics. Autrement dit : le projet permettrait de contenir la hausse du trafic poids lourds, mais pas de faire réellement baisser la pression sur les riverains. Sur le quartier de Saint-André, le plus proche du projet, l’étude de trafic fait passer le nombre de poids-lourds par jour sur l’autoroute de 1 800 en 2019 à… près de 2 000 en 2045 !

Extrait de l’étude de trafic poids lourds (PL) / TrafalGare – GPMM – SNCF-R

Locomotives diesel

Et encore : les prévisions reposent sur plusieurs évolutions sur lesquels le GPMM et SNCF-R n’ont pas de prise. Comme par exemple l’équipement des trains de fret en locomotive diesel « faible émission » à partir de 2035. Ou la bascule du parc français de poids lourds, roulant aujourd’hui au diesel, vers des moteurs au gaz naturel. Ces moteurs sont censés équiper pas moins de 50 % des camions à l’horizon 2050. Quant au report des transports de marchandises de la route vers le chemin de fer, il nécessite un service plus fiable qu’actuellement, et un prix du transport routier (carburant, péage, taxes) plus cher. Ces engagements pourront-ils être tenus, quand on voit comment les plans de réduction des pesticides peuvent rapidement être « mis en pause » ? Réponses du commissaire enquêteur au printemps.

Le contrechamp du vivant

Le projet de « reconstitution » à Mourepiane de la gare du Canet va-t-il faire aussi du bien aux animaux et aux plantes ? Incontestablement, si l’on regarde du côté du quartier du Canet. En 2031, à la place de l’ancienne gare : un parc de 16 hectares, qui va permettre de créer une coulée verte dans les quartiers Nord de Marseille. Depuis la création des nouveaux bassins, au Nord du Vieux-Port, en 1844, puis la création des grandes cités entre les années 1960 et 1970, aucun grand espace vert n’avait jamais été implanté dans cette partie de la ville, qui regroupe pourtant plus de 200 000 habitants ! Si le pré-programme de l’aménageur public Euroméditerranée est respecté, l’impact pour les habitants sera donc indéniablement positif. Il devrait l’être également pour la nature, avec la remise à l’air libre d’un tronçon du cours d’eau des Aygalades. L’ambition : « améliorer les services rendus à l’écosystème » et « régénérer la biodiversité » en implantant des essences de plantes diversifiées et locales. Du meilleur pour les insectes, et donc pour les oiseaux. Le tout en balisant des espaces protégés au sein du parc, et en travaillant l’éclairage public pour réduire la perturbation du vivant.

« Maîtriser les nuisances »

Du côté du terminal ferroviaire de Mourepiane, le tableau est beaucoup plus contrasté. Les projections de trafic et de report de la route vers le train reposent sur un principe : l’augmentation du trafic marchandises maritime. L’étude de trafic du projet l’évalue à « +0,5 % par an », cette évolution étant « directement liée à la demande de consommation et du commerce extérieur de la France ». Il s’agit « d’améliorer la maîtrise des nuisances » liées à l’augmentation du trafic des marchandises, selon l’expression du port et de SNCF-Réseau. Si le trafic portuaire se stabilisait ou baissait, le projet pourrait en revanche diminuer le nombre de poids lourds en circulation, et réduire la pression sur les riverains et l’environnement. Mais qu’en serait-il de l’impact sur l’emploi des dockers du terminal ? Et, surtout, l’État et les collectivités locales, qui financeront 80 % du chantier seraient-ils prêts à investir les fonds nécessaires ?