Sur les pentes Nord du massif, s’étend la Réserve Biologique Intégrale (RBI) du Mont-Ventoux. Un espace de 900 ha où les humains concèdent à la nature le droit de vivre en pleine liberté. Bleu Tomate vous la présente, grâce à ses anges gardiens.
Depuis 15 ans, Olivier Delaprison travaille ici pour l’Office National des Forêts, l’organisme qui gère la réserve. Baptiste Montesinos lui, veille depuis 10 ans sur la Zone Natura 2000 (qui inclut la RBI), portée aujourd’hui par le Parc naturel régional du Mont-Ventoux.
Ce matin de février ensoleillé, nos deux guides nous conduisent d’abord au bord de la réserve. Versant Nord, magnifique point de vue sur la forêt du Toulourenc, le village de Brantes accroché à la montagne, et les premiers contreforts alpins.
Une réserve de montagne
La réserve s’étend sur la longueur du massif, depuis la crête du sommet du Mt Ventoux jusqu’à environ 1000 mètres plus bas. « Ici on n’a quasiment que des peuplements naturels, dits « reliques », explique Olivier, et quelques pins à crochets, issus des reboisements entrepris à la fin du 19e siècle ».
Car cette zone difficilement accessible, inhospitalière, avec des pentes de 40 à 80% a échappé au surpaturage et autres activités humaines. Quand le Ventoux devenu chauve a bénéficié d’un reboisement massif, seule persistait cette langue forestière. C’est la plus vieille du Vaucluse, la plus haute aussi. C’est dire qu’elle a été un refuge pour la faune et la flore.
Protéger et étudier
Classé en 2010 Réserve Biologique Intégrale, cet espace naturel devient un sanctuaire. Aucune activité économique n’y est autorisée, ni chasse ni exploitation forestière. La forêt évolue naturellement et librement. Mais pas dans l’indifférence, bien au contraire.
L’objectif est de comprendre le fonctionnement naturel des écosystèmes et de la biodiversité. Ainsi, il y a une dizaine d’années, l’ONF a lancé des inventaires de la faune et de la flore. 256 « placettes de suivi permanent » ont été délimitées. Les scientifiques y ont examiné à la loupe la végétation, mais aussi les insectes saproxyliques (ceux qui décomposent le bois), les champignons, l’avifaune… Objectif de ces inventaires: définir un véritable état des lieux de la forêt et des différentes espèces présentes.
Un sanctuaire qui se traverse
Ces connaissances, indispensables ont permis de tirer des enseignements susceptibles d’être appliqués dans des zones comparables mais gérées par l’homme.
Devant nous, un chamois traverse comme un boulet de canon. Nous sommes à l’entrée officielle de la réserve. Un sentier la traverse de part en part. Etroit et escarpé, il n’est pas de tout repos, notamment dans la traversée de gigantesques pierriers qui trouent les espaces forestiers. Mais la balade vaut le coup d’œil.
Car oui, même fortement protégé, cet espace est ouvert aux randonneurs à pied. Les consignes y sont précises et l’ONF contrôle. Elle est aussi chargée des travaux de sécurisation du sentier. C’est la seule intervention autorisée dans la réserve intégrale, avec les études scientifiques.
« La réserve, dans ce secteur montagnard qui se rapproche des Alpes, elle se défend toute seule, constate Olivier Delaprison. Mais nous sommes tout de même attentifs à surveiller ce qui s’y passe, notamment les avens situés sur son périmètre ».
Des enjeux de biodiversité
L’un des enjeux majeurs de la RBI du Ventoux, c’est la présence de nombreuses colonies de chiroptères. Alors, Olivier Delaprison et ses collègues veillent jalousement sur les avens, refuges des chauves-souris. 17 espèces y vivent en pleine liberté, dont le Grand et le Petit murin, espèces menacées. Ces avens son des lieux de reproduction et pour l’un, d’hibernation. « L’intérêt de ce gîte d’hibernation, le seul connu dans la région, est reconnu au plan international, précise Baptiste Montesinos. La réserve biologique intégrale est une perle au niveau biologique et un laboratoire à ciel ouvert. »
Ici s’épanouissent également chamois, cerfs, sangliers et loups. Plus rares, les faucons pèlerins et aigles royaux. Un autre enjeu important pour la réserve, c’est la présence de bois mort, et l’étude des organismes saproxyliques. Ces insectes, champignons et bactéries ont pour mission de décomposer le bois. Leur présence est le gage d’une très grande biodiversité.
Des enseignements à reproduire
Et sur le modèle de la réserve, Baptiste Montesinos développe petit à petit, dans les 3134 ha de la zone Natura 2000, des îlots de bois mort, dits « de senescence ». Aucune coupe forestière n’y est autorisée. Autant de zones refuges pour ces espèces.
Dans la RBI, où se produisent peu de dérangements et de dégradations sur les habitats, on trouve plus de vie. Mais dans la forêt en libre évolution, Olivier constate le dépérissement des sapins pectinés, sentinelles du changement climatique. Les hêtres et des arbustes déjà présents en tirent avantage.
Gestionnaires, techniciens et scientifiques protègent ces 900 ha, les étudient mais cherchent aussi à partager ce joyau avec le grand public. Grâce à l’éducation, la sensibilisation et l’information, ils espèrent convaincre les visiteurs de la fragilité des écosystèmes naturels, mais aussi de leur richesse et de leur importance pour toutes les espèces, y compris la nôtre !
La réserve biologique intégrale du mont Ventoux
Elle concerne les communes de Beaumont-du-Ventoux, Saint-Léger-du-Ventoux, Brantes et Savoillans.
La réserve occupe une surface de 906 ha à une altitude moyenne de 1000 m. Un arrêté ministériel l’a créée le 10 novembre 2010.
Elle abrite de nombreux insectes coléoptères comme le Grand Capricorne, la Rosalie des Alpes, le Lucane Cerf-volant et la Rhagie mordante, des papillons (Alexanor et Apollon), des rapaces (aigle royal, Faucon pèlerin), des oiseaux (Merle de roche, Pic noir) et des chauves-souris (Petit murin et Murin à oreilles échancrées.
La RBI se pare d’une flore remarquable également très variée : Androsace de Chaix, Ancolie de Bertoloni, Biscutelle à tige courte, Panicaut blanc des Alpes, Gaillet des rochers, Iberis nain, Silène de Pétrarque.
Les études menées dans le RBI du Mont-Ventoux devraient permettre de répondre à de nombreuses interrogations sur l’évolution des peuplements forestiers et des cortèges associés, dans les massifs des Alpes du sud.
De nombreux partenaires participent à la conduite de ces études, tels que le CEN PACA, l’INRA, le CEMAGREF…