La sécheresse subie par plusieurs secteurs en 2022, prolongée ce printemps, est grave et inédite. Dans le bassin de l’Huveaune, de la Siagnole et de l’Ouvèze vauclusienne, l’eau devenue rare pose de façon cruciale la question du partage de la ressource.

6 km d’assec. Telle est – déjà – la situation de l’Huveaune à la fin du mois de mars. « Ce n’est absolument pas normal. Le manque de pluie cet hiver cumulé avec un déficit d’eau très intense ces deux dernières années expliquent cette situation. Une partie des sources de l’Huveaune, à Nans-les-Pins, dans le massif de la Sainte-Baume, est tarie depuis des mois. On est dans une situation bien pire qu’en 2022 », s’alarme Estelle Fleury, directrice de l’Etablissement Public d’Aménagement et de Gestion des Eaux Huveaune Côtiers Aygalades (EPAGE HuCA).

Huveaune, 12 km d’assec fin 2022

L’an passé, le fleuve côtier, dont l’embouchure se trouve à Marseille près du parc Borély, avait déjà connu un pic de sècheresse historique. « Fin septembre, on totalisait 12 km d’assec, répartis sur plusieurs parties de la rivière. Soit un tiers de l’Huveaune sans eau ! », rappelle Estelle Fleury. S’il est difficile de prévoir précisément l’évolution de la situation pour l’été prochain, « on s’attend à ce qu’elle empire et soit plus grave qu’en 2022, avec peut-être 20 km d’assec à la sortie de l’été », craint la directrice. L’an dernier, la préfecture « avait pris un arrêté de crise en mai. Cette année, c’est le cas dès mars ».

L’Huveaune à sec… Crédit EPAGE HuCA (Photo de Une : le lac de Saint-Cassien au plus bas… Crédit Communauté de Communes Pays de Fayence).

Packs d’eau en Pays de Fayence…

Autre bassin versant, même situation : le Pays de Fayence, dans le Haut-Var. Irrigué en partie par la Siagnole, « la source principale de cette rivière a un débit qui baisse en ce moment de 20 litres par seconde chaque semaine. A ce train là, on risque d’avoir très vite une situation de rupture s’il ne pleut pas », s’inquiète René Ugo, maire de Seillans et président de la Communauté de Communes du Pays de Fayence, regroupant neuf villages. La rupture, les habitants de ce territoire l’ont déjà connue. L’été dernier, en panne d’eau potable, des habitants de Seillans ont été alimentés par des packs d’eau livrés dans des points de distribution. « Nous l’avons fait aussi cet hiver car il n’a pas assez plu », ajoute le maire.

… et l’Huveaune en eau, au même endroit, quelques années plus tôt. Crédit EPAGE HuCA.

… et eau livrée par camion-citerne

Certains secteurs des communes de Fayence et de Tourrettes ont également été concernés par cette rupture. Pire, des forages réalisés dans des nappes phréatiques n’ont plus été, eux aussi, exploitables, le niveau étant descendu trop bas. « A partir de mai 2022, nous avons été obligés à Seillans d’apporter de l’eau par camion-citerne au réservoir qui était alimenté par ce forage », raconte René Ugo. Le droit de ponctionner cette réserve était limité à 150 litres par jour et par personne.

Ouvèze vauclusienne, 3,2 millions de m3 de déficit en année sèche

Au nord du Vaucluse, la situation dans certaines zones n’est guère plus brillante. Dans un département où les arrêtés sècheresse se multiplient, le territoire de l’Ouvèze vauclusienne (Vaison-la-Romaine, Sablet, Jonquières…) est l’un des plus impactés. Très agricole, il subit en année sèche un déficit de 3,2 millions de m3 d’eau. Dès lors, « les ressources en eau ne permettent pas de satisfaire les usages préleveurs sans compromettre le bon fonctionnement des milieux », écrit l’Agence de l’Eau Rhône Méditerranée Corse dans un document présenté lors des Journées d’Echanges Eau et Agriculture, mi mars à Avignon.

La camion-citerne ayant alimenté la commune de Seillans. Crédit Communauté de Communes Pays de Fayence.

Arrêtés sécheresse

La raréfaction de la ressource met en exergue des usages appelés demain à subir des arbitrages plus sévères. « La production d’eau ne couvre plus les prélèvements », constate Estelle Fleury. Entre les riverains bénéficiant d’un droit d’eau pour leurs jardins, et l’industrie et l’agriculture préleveuses dans la nappe alluviale de l’Huveaune, les tensions risquent de s’accroître. De leur côté, les arrêtés sècheresse ont beau imposer des restrictions, encore faut-il pouvoir les contrôler. « La Préfecture envoie en ce moment des techniciens pour effectuer ces contrôles. L’EPAGE HuCA n’a pas de pouvoir de police. Notre rôle est de se mettre à la disposition des communes pour expliquer la situation. Il est important de faire appel à la responsabilité citoyenne de chacun », ne peut qu’encourager la directrice de l’EPAGE HuCA.

Un déversoir de l’Huveaune à sec, en mars 2023. Crédit EPAGE HuCA.

Projets de Territoire pour la Gestion de l’Eau

L’anticipation d’une situation délicate, pourtant détectée depuis plusieurs années, ne semble pas avoir été la règle. Le bassin de l’Huveaune élabore seulement maintenant son PTGE (Projet de Territoire pour la Gestion de l’Eau). « Pour faire l’inventaire des prélèvements et définir les modalités de partage de l’eau », confesse Estelle Fleury. Même impression du côté du Pays de Fayence. Alors que des risques de coupure d’eau se profilent à nouveau s’il ne pleut pas d’ici l’été, René Ugo constate que la notion de partage de l’eau n’est pas encore … bien partagée. « Nous avons sur notre territoire le lac de barrage de Saint-Cassien. Son but est de produire de l’électricité et d’alimenter en eau les communes du littoral. Certains de mes administrés s’étonnent d’être privés d’eau alors qu’à Cannes, les parterres de fleurs, même en plein été, sont parfaitement arrosés », illustre René Ugo.

Le même déversoir de l’Huveaune en eau, en septembre 2013 Crédit EPAGE HuCA.

Prélever des eaux de Saint-Cassien

Un programme de rénovation du réseau d’alimentation de Seillans pour colmater les fuites – des habitants du village ont reproché ces pertes à la mairie, dues à la vétusté des canalisations – est en cours. Cela prendra du temps. La communauté de communes s’est aussi rapprochée de la Société du Canal de Provence. L’idée : prélever de l’eau du lac de Saint-Cassien et l’amener par des conduites au plus près des villages. « Un chantier de trois à quatre ans », concède le maire. Du constat à la mise en œuvre de solutions pérennes, de l’eau a le temps de couler sous les ponts…