Les espaces naturels recouvrent 60% du territoire de notre région. Leur sur-fréquentation est préjudiciable à ces milieux fragiles. Réunis à Vaison-la-Romaine, les gestionnaires de ces espaces ont planché sur les moyens de concilier tourisme et protection des sites.
800 000 visiteurs par an dans les Gorges du Verdon, 3 millions dans le Parc national des Calanques… Une fréquentation déjà forte qui a explosé à l’issue des périodes de confinement liées à la Covid 19. Tous les gestionnaires d’espaces protégés, dans les Parcs nationaux et régionaux, réserves et autres conservatoires partagent ce constat alarmant. Car sur-fréquentation est synonyme de dégradations et menaces sur ces milieux fragiles.
Réunis dans le Nord Vaucluse, par l’Agence Régionale pour la Biodiversité et l’Environnement (ARBE), pour l’Université du Réseau Régional des Espaces Naturels (RRENPACA), une soixantaine de gestionnaires et représentants des structures concernées ont planché sur la question. A la manœuvre, le tout jeune Parc naturel régional du Ventoux, puissance invitante.
Les gorges du Toulourenc plébiscitées
Tout commence par une visite de terrain, à titre d’exemple. Tenue adaptée recommandée, ce 17 novembre la température est frisquette et le soleil bien paresseux derrière les collines, tarde à émerger. Nous sommes au hameau des Veaux, sur le site des Gorges du Toulourenc, au Nord Ouest du Mont Ventoux. Un site classé Natura 2000.
Un site très prisé des locaux comme des touristes. Facile d’accès, il accueille les familles qui aiment y déambuler les pieds dans l’eau. Sur une dizaine de km, dans ce paysage de gorge spectaculaire rafraîchissant l’été et sans dénivelé, les enfants érigent de jolis barrages de galets.
Mais un site menacé
L’envers du décor, ce sont des centaines de voitures garées anarchiquement sur le bord de petites routes, des dégradations, la présence de déchets et déjections, des départs de feux, et des conflits avec les propriétaires privés. Mais aussi une eau troublée par le piétinement et une faune étouffée. Les barrages provoquent en effet manque d’oxygène, réchauffement de l’eau et développement d’algues.
Depuis plusieurs années, les gestionnaires et élus locaux sont conscients du danger. Ils cherchent des solutions et les mettent en place petit à petit.
Des réponses apportées
Cet été, deux parkings gardiennés et payants de 60 places chacun, équipés de toilettes sèches et de panneaux d’information ont accueilli les visiteurs. Manière de réduire leur nombre. Et de les informer sur les bons gestes et comportements dans la nature. Une tâche accomplie quotidiennement, pendant les deux mois d’été, par les agents de la garde régionale forestière. Et pour dissuader ou verbaliser les récalcitrants, les forces de police municipale et de gendarmerie sont présentes.
Autre moyen d’action, la mise en avant de sites alternatifs. C’est le cas de « l’Esprit des lieux ». Cette ancienne maison forestière restaurée, sur le village voisin de St Léger du Ventoux a été investie par l’association éponyme. Elle y propose une librairie, de la restauration et un cadre de verdure et de repos apprécié. Ainsi que des sentiers thématiques pour tous les goûts et toutes les capacités, sur les 7 hectares environnants de cette petite vallée. A proximité un site d’escalade connu internationalement, et fréquenté toute l’année par de nombreux grimpeurs.
Dans les gorges du Toulourenc, on a compté un pic de 81 000 visiteurs en 2018 et 55 000 en 2020. Les chiffres pour 2021 ne sont pas encore publiés.
Trouver ensemble des solutions
Réglementer les conditions d’accès, informer sur la fragilité, voire le danger des sites naturels, mais aussi ne plus les promouvoir et en valoriser d’autres moins connus… C’est une partie des réponses à la question de la sur-fréquentation, à certains moments de l’année.
En avant-saison dans le Parc naturel régional de la Sainte-Baume, l’été dans les Ocres du Luberon, sur l’île de Porquerolles et les sites de baignade du Parc des Préalpes d’Azur, ou au printemps dans ses pâturages, tous les représentants de sites sensibles font état de difficultés voire de conflits. Et s’interrogent : comment réguler, sensibiliser, éduquer un public qui n’a pas les codes. Et qui se livre à de nouvelles pratiques telles que les drones ou le vélo électrique qui dérangent les oiseaux nicheurs et ravinent les espaces ?
La loi Climat et résilience de 2021
Invité à l’Université de Vaison-la-Romaine à apporter un éclairage juridique, Gilles Martin est président du Conseil scientifique du Parc national de Port-Cros, et professeur émérite de droit à l’Université Côte d’Azur. Il croit beaucoup au tout nouvel article L.360-1 du Code de l’environnement, introduit par l’art 231 de la Loi Climat et résilience du 22 août dernier.
Ce nouveau texte autorise le maire ou le préfet à réglementer ou interdire l’accès aux espaces protégés « dès lors que cet accès est de nature à compromettre soit leur protection ou leur mise en valeur à des fins écologiques, agricoles, forestières, esthétiques, paysagères ou touristiques, soit la protection des espèces animales ou végétales ».
D’autres armes juridiques
Un nouvel outil donc dans la panoplie des gestionnaires de sites sensibles. Parmi les autres, les contrats de concession ou de service public et encore les codes de bonne conduite. Sans oublier l’article 1246 du Code civil, daté celui-là de 2016, et si simple qu’on peut le citer tout entier : « Toute personne responsable d’un préjudice écologique est tenue de le réparer ».
Autre question soulevée par Gilles Martin, même elle est un peu tabou, celle des droits d’entrée. Pratiqué dans le monde entier selon l’éminent juriste, le paiement a l’avantage de procurer du financement pour l’entretien ou la réhabilitation du site, de réduire la fréquentation et peut-être bien de susciter des comportements plus responsables de la part des visiteurs. Pour éviter la seule sélection par l’argent, il doit s’accompagner de tarifs réduits voire de gratuité pour certains publics.
Les espaces protégés et le reste du territoire
Une autre manière d’aborder la question de la sur-fréquentation des espaces naturels, est celle de la sociologue Cécilia Claeys. Membre du LPED (Laboratoire Population Environnement Développement), à Aix Marseille Université, elle intervenait aussi au congrès du Réseau régional des espaces naturels.
Selon la scientifique, il existe un réel paradoxe à valoriser, donc amener du public dans des sites protégés, que la fréquentation dégrade. Elle attire également l’attention sur la différence entre la fréquentation mesurée et la fréquentation perçue, matière à tensions éventuelles. Et puis elle souligne que des espaces sont dits de qualité quand d’autres sont disqualifiés ou non valorisés. Autrement dit, si on améliore la qualité des villes, par exemple, la demande de nature peut être moins forte. En particulier pour des activités qui ne nécessitent pas forcément d’être pratiquées dans un site sensible.
Une approche globale, qui interroge les politiques publiques et leur cohérence. Et qui dépasse les seuls gestionnaires de sites protégés.