« Vivant, naturellement », voilà le titre que nous avons choisi pour ce dossier. Mais finalement, qu’est-ce qu’être vivant ? Pouvons-nous dire que nous vivons « naturellement » ou que nous sommes vivant « naturellement » ? Quelle(s) relation(s) entretient l’humain avec ces notions ? Interview avec Thierry Tatoni, écologue et professeur à l’université Aix-Marseille.

 

Bleu Tomate (BT) : Commençons par quelques définitions pour mieux saisir de quoi nous parlons. Qu’est-ce que le vivant, le sauvage, la nature et la biodiversité ? Quelles différences finalement ?

Thierry Tatoni (TT) : « Le vivant c’est ce qu’il y a de plus simple à définir. C’est ce qui est destiné à mourir et qui a la possibilité de se reproduire de manière autonome. Ça, c’est une définition balisée.

Le sauvage, j’en ai une perception très basique : c’est ce qui n’est pas domestiqué, c’est-à-dire ce qui n’est pas contrôlé directement par l’activité humaine. J’aime bien cette définition, mais elle pose la question de ce qui est indirectement contrôlé par l’activité humaine. Quasiment tout ce qui est vivant sur Terre est plus ou moins dépendant de l’activité humaine, alors il n’y a plus de sauvageC’est pour cela que je préfère dire qu’est sauvage ce qui n’est pas directement contrôlé par l’activité humaine.

La nature ensuite, est un terme très englobant qui inclut le vivant et le non vivant. Je suis toujours embêté avec ce terme car d’un côté lorsqu’on dit nature, on exclut l’homme. Dans le langage commun, si je dis que j’ai besoin de nature, cela signifie que j’ai besoin de cet environnement naturel sans l’homme. Une fois que nous avons dit ça, si nous revenons au discours académique selon lequel l’homme fait partie de la nature, alors nous ne comprenons plus. Moi, je joue sur les deux tableaux. Les relations avec la nature sont très ambigües. On essaie d’éviter de parler de relation homme – nature, on parle plutôt de relation humain – non-humain.

La biodiversité quant à elle, est un terme construit par l’homme. La diversité du vivant non, mais la biodiversité oui. La biodiversité nous renvoie aux interactions du vivant, celles entre le vivant et le non vivant, et celles au sein du vivant lui-même. Ces interactions sont à la base de l’évolution du vivant. Il y a un petit plus à cette définition : la biodiversité est un terme qui a été construit dans un contexte de crise environnementale assez forte et qui a pour vocation d’alerter sur une forme d’érosion du vivant. C’est un terme pratique pour prendre conscience de cette dynamique du vivant, des risques liés aux changements dans l’évolution du vivant et de l’impact des humains sur la nature en général.

Qu’est-ce que l’écologie ? (selon Thierry Tatoni)

« L’écologie est un domaine scientifique : oikos – logos : étude de la maison, de l’habitat. Comment vit-on dans tel habitat, donc sur terre, dans la région, dans un écosystème ? Ce qui en ressort, ce sont les interactions du vivant. Le vivant est façonné par les interactions et l’écologie est le domaine disciplinaire qui étudie les interactions qui façonnent le vivant. Or l’homme est au cœur du vivant. Pour moi, l’écologie est d’ailleurs la première des sciences humaines. C’est une science qui est plus humaine que ce qu’on croit. »

BT : Nous allons ici parler du vivant, dont l’humain fait partie. Comment se place l’humain par rapport au vivant justement ?

TT : « Nous avons parfois l’impression qu’il ne peut pas y avoir de nature sans l’homme, que c’est lui qui définit le vivant. D’un autre côté, on nous dit que la nature serait beaucoup mieux sans l’homme. Ces deux positions me dérangent parce que s’il y a une forme de réalité, elle se situe entre les deux.

Nous avons besoin de prendre conscience et d’assumer l’impact que nous pouvons avoir sur le vivant non-humain et l’environnement naturel. Il me paraît normal que l’homme ait un pouvoir d’artificialisation du milieu car il a besoin de se loger et se nourrir. Je ne veux pas exclure l’homme de la nature. Mais il faut aussi prendre conscience et accepter que la nature n’ait pas besoin de nous et que l’extrême majorité du vivant existe très bien sans activité humaine. C’est ça le sauvage. C’est pour cela qu’il est important pour moi que cette notion de sauvage soit remise au goût du jour. »

BT : Quid de la protection de la nature ?

 

BT : Que faut-il faire alors ?

TT : « J’allais dire « il faut revoir nos modes de développement ». Oui, mais cela passe d’abord par des prises de conscience et des changements individuels. Il faut revoir nos comportements car dans un premier temps, nous ne pouvons pas attendre des politiques. C’est pour cela que c’est complexe.*

Nous devons apprendre à cohabiter ; je dirais même à collaborer avec le sauvage. Je ne sais pas si nous y arriverons. En tout cas, nous devons apprendre que tout ne nous appartient pas. J’ai l’impression que l’humain aura fait un progrès énorme lorsqu’il aura accepté la place du sauvage dans son environnement, qu’il respectera cette différence et qu’il jouira de cette différence.

Je vous donne une image un peu facile : quand je suis chez moi, je peux me débarrasser du sauvage qui m’embête – les cafards, les rats etc. Je suis le maître des lieux. Une fois dans la colline en revanche, je passe dans le monde sauvage. Je ne suis plus chez moi. Ce qui ne veut pas dire que je ne peux pas y aller, mais simplement que je dois respecter les règles des occupants du lieu, c’est-à-dire cette nature sauvage. Et je me ravis que ces êtres vivants que je ne veux pas chez moi vivent ici. »

 

BT : Est-ce si important de renouer avec ce vivant non-humain, le sauvage ?

TT : « Pour l’avenir de l’humanité oui, pour la planète, non. Le problème est là. Quoi que nous fassions, sur le plan géologique, la planète s’en remettra. Quel mode de vie voulons-nous pour l’humanité ? Voilà la vraie question. La seule façon de limiter les dégâts, que nous ne pouvons plus éviter, c’est explorer de nouvelles voies et aller vers ce qui marche. Or ce qui marche, c’est l’évolution du vivant. Et l’évolution du vivant, c’est ce que la nature fait le mieux, toute seule.

L’avènement de la technologie nous a fait croire que nous pourrions nous sortir de la nature. Or au XXIe siècle, nous nous rendons compte que notre modèle dépend des ressources naturelles. Il faudrait nous remettre dans la trajectoire du vivant. Je ne veux pas revenir à l’âge de pierre, mais ne pourrait-on pas utiliser toute cette technologie au service d’un mode de vie en harmonie avec la nature ?

Le problème c’est notre relation à la consommation, cette connexion matérielle. Nous n’arrivons pas à sortir de nos paradigmes qui sont incompatibles avec le fonctionnement systémique de la planète. Je ne sais pas quel système il faut mettre en place, mais il faut le chercher et le changer. Pour être heureux, nous ne sommes pas obligés d’avoir tout. Si on arrive à se dire que la vraie richesse c’est de sortir dans la nature, ça serait génial. Mais le cheminement pour en sortir, je ne sais pas. »

BT : Un mot pour finir ?

* Thierry Tatoni est inscrit au comité scientifique interdisciplinaire Ecocomplex, qui interroge la complexité de la transition écologique et socio-environnementale.

 

Thierry Tatoni est enseignant chercheur en écologie à Aix-Marseille Université, rattaché à l’Institut Méditerranéen de Biodiversité et d’Ecologie Marine et Continentale (IMBE) pour ses recherches.

Ces dernières portent sur 3 thématiques :

– la dynamique de la végétation et de la biodiversité en fonction des régimes de perturbation ;

– l’analyse de la vulnérabilité écologique en région méditerranéenne ;

– l’étude des fonctionnalités écologiques et approche globale des services rendus par la biodiversité

Thierry Tatoni a également une importante implication dans les conseils ou comités scientifiques des espaces naturels protégés. Entre autres, il a été, ou est encore, membre du Parc National des Calanques (vice-président), du Parc National des Ecrins, du PNR et Réserve MaB du Luberon (président), du PNR Sainte-Baume (président), du PNR des Baronnies Provençales (vice-président) et du PNR Alpilles.

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