Calavon : sauvons le crapaud à couteaux !

un crapaud à couteaux sur la route

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un crapaud à couteaux sur la route

Oppède, au pied du Luberon : un site apprécié des amphibiens ! Mais ils paient un lourd tribut à la traversée d’une route. Pour définir la meilleure parade, le Parc naturel régional du Luberon a installé au printemps dernier un « crapauduc » temporaire. L’expérience livre aujourd’hui ses enseignements.

Des centaines de mètres de filets dressés le long de la route départementale 178, « Chemin du Plan », des seaux installés pour recueillir les candidats à la traversée et des agents qui passent des nuits blanches à assurer leur passage (lire ici notre article en 2024). Au printemps et à l’automne 2024, le crapauduc temporaire a livré quelques secrets et confirmé certaines données.

Jérôme Brichard, agent du Parc du Luberon au bord de la mare, dans la zone humide fréquentée par les crapauds
Printemps 2024 – Jérôme Brichard, près du Calavon, zone humide où les amphibiens viennent se reproduire, souvent après avoir traversé la route ©JB

Un crapauduc efficace mais temporaire

« Nos études de suivi depuis 2019 sur le crapaud à couteaux – le Pélobate cultripède – laissaient penser que 12 à 15 % de la population est mise en danger par la route à chaque saison de reproduction (printemps et automne)» rapporte Jérôme Brichard, chargé de mission « zones humides » au PNR Luberon. Une évaluation confirmée par l’expérimentation. Environ 1600 amphibiens ont été sauvés au cours d’une vingtaine de sorties nocturnes, les nuits pluvieuses, plus propices à la traversée vers la mare proche, lieu de reproduction. « Avec un gros boom sur la fin d’été, quand les juvéniles se dispersent sur la zone alentour », précise l’agent du Parc.

Malgré le dispositif de protection, 300 individus ont été retrouvés sur la route, dont 50 % écrasés. Parmi eux, une trentaine de Pélobates cultripèdes ou crapauds à couteaux. Une espèce rare, présente seulement en Espagne et en France, sur la côte atlantique et dans le Sud-Est. On recense sur ce site classé Natura 2000 du Plan d’Oppède, une population de 300 individus environ, la plus forte concentration de la région et peut-être même au niveau national. Mais le taux de survie compense tout juste celui du recrutement et la viabilité de l’espèce est en jeu.

les petits amphibiens recueillis dans un seau avant de traverser la route
Les amphibiens recueillis dans un seau – ©PNRL – Romane Vautrin

Il est passé par ici, il repassera par là…

Autre enseignement tiré du crapauduc temporaire, celui des points de passage. Comme les intervenants s’y attendaient, ils identifient un « point chaud » tout près de la mare. Mais un autre, assez éloigné, situé à l’extrémité du dispositif à proximité de serres, semble prisé des crapauds à couteaux. « Les études de suivi nous ont permis sur ce site, d’estimer que le domaine vital du Pelobate pouvait aller jusqu’à 1,5 ha » s’étonne Jérôme Brichard.

Diagnostic posé, reste à passer à l’acte. Plusieurs solutions sont envisagées et en cours d’évaluation avec les acteurs : outre le Parc, le service des routes du département, les communes et la population concernée.

Un agent du Parc recueille les amphibiens tombés dans les seaux
Pendant les nuits humides au printemps et à l’automne derniers, les agents du Parc veillaient à sécuriser la traversée de la route par les amphibiens ©PNRL – Romane Vautrin

Fermer la route ou créer des passages ?

L’une des options serait la création d’ouvrages souterrains de franchissement. Sur 200 mètres, un « tunnel » tous les 60 m serait nécessaire, soit trois souterrains à créer et un existant à aménager. Avec un système de guide vers les accès sous la forme d’un petit muret. Un investissement évalué entre 250 000 et 300 000 €. Un coût certain, mais une dépense unique, à la différence des autres propositions.

L’autre option en effet serait la fermeture de la route aux périodes cruciales, soit au maximum deux mois au printemps et deux autres à l’automne. Elle pourrait être temporaire (seulement la nuit) ou permanente, sauf pour les riverains. Elle nécessiterait une signalisation, éventuellement une astreinte pour le personnel de service soir et matin, et reporterait le trafic sur un axe déjà très fréquenté. Avec 2000 véhicules/jour, la RD 178  dite « Chemin du Plan » sert en effet de voie de délestage « non officielle » pour éviter le feu tricolore de Coustellet, sur la RD 900 qui relie Avignon à Apt.

Études faites, passer à l’action

Un Pélobate cultripède, dit crapaud à couteaux recueilli dans un seau
Opération crapauduc temporaire en 2024 : un jeune Pélobate cultripède recueilli dans un seau – ©PNRL – Romane Vautrin

Pour l’heure, le Parc du Luberon et le service des routes du Vaucluse étudient la faisabilité technique du projet. En fonction du résultat, il sera soumis aux élus et à la population. En février dernier, un questionnaire en ligne proposé par le Parc a recueilli 97 % de suffrages en faveur d’un crapauduc permanent. 77 % de la centaine de personnes qui ont répondu sont favorables à une fermeture temporaire de la route en période sensible. Enfin, 84,6 % des contributeurs sont prêt à rallonger leur trajet de cinq minutes pour éviter la RD 178.

Si cette dernière option, qui paraît la moins coûteuse –en tout cas sur le court terme–, était retenue, elle pourrait être mise en place à titre expérimental en 2025/26, puis évaluée au bout d’un an ou deux. Et si les conditions étaient remplies –efficacité, acceptation et engagement sur le long terme– cette solution serait pérennisée.

Priorité biodiversité ou trafic routier ?

Par ces temps de contraintes budgétaires à tous les étages, sauver le Pélobate cultripède peut sembler vain. Pourtant, la réduction de l’impact des infrastructures routières sur la biodiversité est une priorité affichée par les pouvoirs publics.  « Le site du Plan à Oppède a une très forte valeur écologique, notamment avec la présence de sept espèces d’amphibiens. Il fait partie des zones humides du Calavon inscrites au réseau des Espaces naturels sensibles (ENS) du département de Vaucluse », plaide Jérôme Brichard, par ailleurs animateur pour la zone Natura 2000 « Le Calavon et l’Encrème ».

Pose du filet de protection pour les crapauds au bord de la route à Oppède dans le Vaucluse
Printemps 2024, le crapauduc temporaire – Installation du filet de protection sur la D 178 « chemin du Plan » à Oppède ©JB

Les amphibiens constituent un maillon clé de la chaîne alimentaire. À la fois prédateurs, ils avalent moustiques, escargots et limaces et jouent le rôle d’insecticides naturels, mais sont aussi la proie de nombreux animaux. Avec leur peau humide et perméable, ils sont vulnérables aux substances toxiques et à la sécheresse. À ce titre, ils sont de bons indicateurs de la santé des écosystèmes.

Un intérêt qui mérite peut-être bien un petit détour de cinq minutes, ou un investissement pour l’avenir ?

 

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