village de Lagnes

Cela s’appelle un projet d’habitat participatif. Les futurs habitants vont décider eux-mêmes de leur futur foyer. Mais il devra être en écoconstruction, mêler parties privées et parties collectives et mixer les générations.

C’est l’histoire d’un terrain de 5 600 m2 en plein cœur du village de Lagnes, perché dans les Monts de Vaucluse. Ce terrain appartient à la même famille depuis des générations. Aujourd’hui, les 3 sœurs héritières ont décidé de le vendre. « La maison de famille, juste à côté,  nécessite de lourds travaux et nous souhaitons pouvoir aider nos propres enfants », explique Brigitte Dumeste, la seule des trois sœurs qui habite la maison familiale.

le terrain de Lagnes vendu

Une partie du terrain de Lagnes et au fond la maison familiale – ©JB

Le terrain fait l’objet au PLU, d’une Opération d’aménagement et de programmation (OAP). Autrement dit,  il est constructible avec différentes contraintes  et  devra accueillir  au moins 14 logements.

Matériaux biosourcés et projet collectif

Les sœurs qui ont toutes la fibre écolo et sociale –transmise par leurs parents qui ont durant toute leur retraite animé la vie des associations  du village- se sont donc résolues à vendre ce terrain en friche. Mais pas n’importe comment. Elles ont décidé qu’il serait l’objet d’un projet d’habitat participatif,  conçu par et pour ses futurs habitants et dans le respect de l’environnement. Un projet ouvert prioritairement –mais pas uniquement, car une réelle mixité sera aussi recherchée- à des jeunes familles qui rencontrent des difficultés à se loger, pour cause de pénurie et de prix élevé aux alentours. Une vingtaine de logement sont prévus.

Lagnes dans les Mts de Vaucluse

A la sortie du village de Lagnes, en direction de Gordes
et de Fontaine-de-Vaucluse©JB

Des acteurs engagés

Un promoteur et un atelier d’architectes ont relevé le défi, la municipalité joue le jeu, et le projet sera accompagné par la Coopérative Regain, spécialiste de l’accompagnement de ce type d’habitat. Et chacun a réduit sa marge (y compris les propriétaires du terrain qui ont vendu 30% moins cher) afin que l’opération reste abordable. Sachant que l’éco-construction est plus onéreuse sur le moment, mais à terme, les charges sont bien moindres que dans l’habitat classique. Sans parler de la qualité de vie et de l’accès de tous aux parties collectives.

place du village de Lagnes s

La place du village et son café encore fermé pour cause de COVID – ©JB

Une vie à inventer ensemble

C’est ensemble que les futures habitantes et habitants, avec les porteurs du projet,  définiront les contours de cet habitat. Notamment quels espaces partagés ils souhaitent construire. Par exemple une salle commune, des chambres d’amis, un atelier de bricolage ou encore une buanderie. Autres parties communes, les jardins et potagers partagés, jeux pour enfants, aménagements paysagers….

Lagnes

Brigitte Dumeste, l’une des soeurs propriétaires du terrain – ©JB

Un projet innovant

Un projet ambitieux qu’il a fallu expliquer à certains habitants, inquiets d’apprendre la vente du terrain. « Dans le village, certains auraient préféré qu’il reste comme ça », raconte Brigitte Dumeste. Les sœurs ont alors rédigé une lettre afin d’expliquer la situation et leur démarche, bien loin d’une simple opération commerciale juteuse. « On ne voulait pas un lotissement lambda. Nous avons conditionné la vente à l’habitat participatif et à la construction écologique. Nous sommes très enthousiastes, on a réuni une chouette équipe », poursuit Brigitte.

Appel aux volontaires

L’heure est à la communication pour trouver des candidats Ils devront avoir la volonté d’être acteurs et concepteurs de leur futur lieu de vie, avoir le souci de leur empreinte environnementale et l’envie de partager du temps et de l’espace avec leurs voisins.

le flyer d'information sur la vente

L’information pour trouver des candidats à l’habitat participatif est lancée

La livraison des logements doit intervenir en avril  2024. Les 3 sœurs qui ont leurs souvenirs d’enfance dans ce terrain autrefois verger d’abricotiers  entendent suivre avec bienveillance son évolution, dans les valeurs de solidarité et de respect de l’environnement.

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Ce qu’ils en disent…

Les architectes écolos

L’atelier Ostraka,  cabinet d’architectes installé à Robion (84) a déjà une bonne expérience des constructions bois et des matériaux biosourcés. Mais il s’intéresse aussi à l’aspect participatif du projet de Lagnes. Jérémy Lasne est l’architecte qui suit le projet et il est enthousiaste. « Aujourd’hui, il est urgent de rapprocher les humains de la nature mais aussi entre eux. Ce type d’habitat c’est un moyen de créer du lien.  C’est chouette de vivre ensemble, c’est difficile, mais on apprend beaucoup sur soi, on compose avec ses atouts et ses faiblesses ».

Des architectes accompagnateurs

Et puis en tant qu’architecte, Jérémy trouve la démarche enrichissante.  « On ne s’avance pas trop dans le projet, on met un point d’honneur à en discuter avec les futurs habitants, explique-t-il. Bien sûr on défriche  notamment par rapport aux contraintes règlementaires. Mais on n’est pas là pour « vendre notre propre vision d’architecte ». On accompagne les gens, en leur donnant les clés de compréhension, pour qu’ils soient leurs propres architectes. Ca donne du sens à notre travail, une dimension plus profonde. On développe une capacité d’écoute. Les habitants nous donnent leur vision du monde, de leurs rapports à l’extérieur. Quand on aura leur projet dans les mains, à nous de le retranscrire dans l’espace, à rendre une atmosphère pour que les personnes s’y sentent bien. »

Le promoteur motivé

Pour le promoteur Laurent Lacoste, qui habite à Saumane, à 5 km de Lagnes où ses enfants vont à l’école, ce projet est tout-à-fait nouveau. Mais il tenait à y participer. « Ca va me permettre de passer de la promotion traditionnelle à la promotion écologique, détaille-t-il. Je me documente beaucoup sur l’éco-construction. De toute façon, la norme RT 2020 va entrer en vigueur, elle sera très stricte sur les matériaux et la performance des bâtiments. Et puis ce sera une expérience intéressante et une vitrine  pour d’autres projets dans d’autres communes ». Alors le promoteur joue le jeu. Comme les autres acteurs, il a accepté de travailler à « livre ouvert » et de réduire sa marge.

REGAIN, les accompagnateurs bienveillants

En 2009 naît l’association, en 2018 elle se transforme en Société Coopérative d’Intérêt Collectif (SCIC). Sa mission ? Accompagner les groupes d’habitants, les bailleurs et les collectivités dans la conduite de leur projet. Regain apporte une expertise et une vision globale. Pas si simple en effet de concilier les contraintes d’un projet de logement avec les dynamiques collectives et relationnelles d’un groupe ! La structure a son siège à Forcalquier et a déjà accompagné plusieurs dizaines de projets dans la région.

L’habitat participatif

Quand des particuliers se regroupent pour concevoir, financer  et réaliser leur logement en mode écologique et coopératif, on parle d’habitat participatif. Et ces projets sont de véritables aventures humaines.

Des acteurs en cohérence

A Lagnes, Regain a déjà réuni les premiers acteurs, propriétaires, architectes et le promoteur. « On établit un cadre de confiance, dit Charlotte Garcia, l’accompagnatrice. Il faut que chacun « monte sur la montagne de l’autre », que chacun comprenne et prenne en compte les contraintes des autres. Habitat écologique, intégration paysagère, mixité intergénérationnelle… Il faut s’assurer que les objectifs de départ seront tenus ».

Un collectif en marche

L’heure est maintenant à la constitution d’un collectif d’habitants. Durant cette première phase qui dure 6 mois, Regain va  les aider à créer un collectif, grâce à de nombreux ateliers et à la mise à disposition d’outils, tels qu’une charte projet qui définit les grandes valeurs partagées ou une charte relationnelle.  « Nous les accompagnons à passer de personnes avec des rêves individuels à un acteur collectif. Ensuite, commence la phase de co-conception avec les architectes ».  Choix des surfaces, de  l’implantation, des matériaux, des espaces partagés… Autant de décisions à prendre, dans un esprit d’intelligence collective, tout en restant dans l’enveloppe budgétaire.

La contrainte financière, surtout en cette période où les prix des matériaux s’envolent, est l’une des difficultés de l’opération. Elle peut peser plus lourdement sur les jeunes couples et familles. La réussite du projet tiendra pourtant à  la mixité intergénérationnelle. Charlotte Garcia est confiante. « Cette approche participe à ce que la société soit plus humaine, plus solidaire et plus juste ».