PV à Val St Donnat)

Autour de la montagne de Lure, dans les Alpes de Haute-Provence, les projets de centrales photovoltaïques se multiplient. Face à cette dynamique pour une transition énergétique, le collectif Amilure alerte : développer l’énergie solaire : oui, mais comment ?

 

« Compte tenu de l’ensoleillement du territoire et d’une faible population, les Alpes de Haute-Provence sont l’Arabie saoudite du photovoltaïque » estime Richard Collin, président de l’association Amilure. Cela explique selon lui la croissance des propositions d’opérateurs privés auprès des communes du territoire.

Vingt installations industrielles photovoltaïques existent déjà sur le territoire de la montagne de Lure et le plateau d’Albion ; ce qui représente 144 hectares. Amilure recense 19 projets en passe d’être réalisés, qui couvriraient 533 hectares. Plus du triple de la surface déjà exploitée.

Camille Feller, maire de Montlaux, est préoccupée par cette croissance : « nous sommes très sollicités, presque quotidiennement, par des opérateurs qui nous promettent monts et merveilles avec des profits énormes. Heureusement, nous pouvons les bloquer ».

Que se passe-t-il sur le territoire Lure-Albion ? Pourquoi le développement du solaire y déclenche-t-il ces inquiétudes ?

Carte des installations existantes ou en projets ©Amilure – Creative Commons CC BY

 

Le 04 au cœur de la stratégie énergétique régionale

La région Sud est à la 3e position de la production solaire de France en 2018, avec 1100 MW produits en 2017. Les objectifs fixés par le schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET), visent une puissance installée à 11 730 MW en 2030 et à 46 852 MW en 2050. Cela représenterait pour les parcs au sol 2 850 hectares (1 995 terrains de foot) d’ici à 2030 et 12 778 hectares (8 900 terrains de foot) d’ici à 2050 ; pour l’équipement sur toitures, 173 000 toitures d’ici à 2030 et 978 000 d’ici à 2050.

Or les Alpes de Haute-Provence sont particulièrement convoitées pour les installations au sol en raison de la forte exposition au soleil et de la faible population.

Le développement du photovoltaïque est bien sûr encadré par des recommandations. Dans les Alpes de Haute-Provence, la Direction Départementale du Territoire a émis sa volonté de prioriser les sites anthropisés et dégradés, favoriser les projets en cohérence avec le projet paysager du territoire, ou encore protéger les terres agricoles, espaces boisées, et sites naturels.

Cependant, Richard Collin observe que nombreux projets dérogent à ces recommandations. C’est là que l’association Amilure intervient.

Une transition énergétique au prix de nos espaces naturels ?

L’association n’est pas contre le photovoltaïque. Ses membres soutiennent les projets qui respectent les recommandations de la DDT 04, notamment ceux prévus sur des zones anthropisées, comme celui d’Engie Green à la Couravoune, à Redortiers sur un ancien terrain militaire.

Cependant ils constatent que des projets prévoient de défricher pour poser les panneaux. C’est le cas du site retenu pur une centrale à Cruis par exemple, où une forêt de cèdres avait été plantée suite à un incendie entre 2006 et 2008.

Camille Feller est ferme : « Ce qui nous semple délirant c’est de raser des forêts (et c’est ce que les opérateurs nous ont toujours proposé) pour faire de l’électricité. » La centrale de Cruis se tiendra en face de sa commune. La maire ne comprend pas : « ça nous impacte visuellement, mais ça impacte aussi la biodiversité et l’infiltration des eaux. »

Simulation du site de la centrale prévue à Cruis ©Amilure – Creative Commons CC BY

Pour d’autres, comme Philippe Laugeay, 1er adjoint à la mairie de Banon, il va falloir faire des concessions pour développer le photovoltaïque car il y a des besoins en électricité : « Il faut choisir les terrains bien sûr. Certains pensent à des terrains anthropisés, c’est vrai. Mais ce sont des dossiers relativement longs à mettre en place, sur lesquels il n’y a pas de facilitation. Je suis dans un questionnement. Il faut être raisonnable mais en même temps, qu’est-ce qu’on veut ? »

De l’électricité pour la France

L’argument principal pour faire valoir ces projets est la solidarité nationale. Car l’électricité ne servira pas directement aux communes mais sera raccordée aux réseaux publics d’électricité.

Philippe Logeay le reconnaît, les retombées pour sa commune sont financières (les terres sont louées par l’opérateur) car « dans le projet, la production part en droite ligne sur un transformateur à Limans donc ne sert pas la commune. C’est l’inconvénient ». Mais il insiste sur le besoin de produire une électricité plus « propre ».

Richard Collin entend l’argument de la solidarité nationale, mais il pose la question autrement : « ce qui est important, est-ce l’intérêt du court terme et ainsi la production de l’énergie, ou est-ce l’intérêt sur le long terme, celui du vivant ? ». Selon lui, on pourrait produire de l’énergie pour les locaux avec des panneaux solaires sur les parkings, et sur des zones anthropisées. A l’échelle nationale, la solution serait plutôt dans la sobriété, l’isolation, la défense de la nature.

La forêt de cèdres à Cruis a grandi ©Amilure – Creative Commons CC BY

« Finalement, sur ce sujet, on s’y perd »

Nous dit Richard Collin, notant le manque de transparence sur ces sujets. « Aujourd’hui les questions de la transition énergétique et des énergies intermittentes ne sont pas faciles à régler. Et les enjeux de décarbonation ne sont pas si clairs. » Les énergies renouvelables ne sont pas si durables qu’elles le promettent. Il met également en avant les questions politiques autour de leur développement, en termes de transparence et de participation citoyenne.

Philippe Logeay manifeste également la complexité du sujet : « il faut toujours peser le pour et le contre, les limites. Ce n’est pas simple tout ça. Il n’y a rien de parfait, il faut faire des compromissions et en parler »

Chacun agit selon son pouvoir. Amilure fait des recours judiciaires pour les projets qui ne respectent pas les recommandations de la DDT. Camille Feller a décidé de refuser tout projet industriel mais est bénévole dans une association de pose de panneaux photovoltaïques chez les particuliers. Philippe Logeay travaille sur les baux signés pour une centrale par la mairie précédente tout en s’impliquant pour la centrale villageoise Lure Albion*.

Sur ce sujet finalement, il semble qu’il n’y ait pas une solution, mais de nombreuses questions sur l’impact à long terme.

* Les Centrales Villageoises sont des sociétés locales à gouvernance citoyenne qui portent des projets en faveur de la transition énergétique d’un territoire (production d’énergie renouvelable, efficacité énergétique, etc.). Elles associent citoyens, collectivités et entreprises locales et contribuent aux objectifs énergétiques en tenant compte d’enjeux territoriaux transverses.

Image de couverture : panneaux photovoltaïque à Val Saint Donnat ©Amilure – Creative Commons CC BY

Amilure

L’Association « Les Amis de la Montagne de Lure », Amilure, est née en 2017. Elle a pour objectif de protéger et promouvoir la Haute Provence, ses paysages, sa faune, sa flore, son patrimoine architectural, culturel et historique.

Pour cela, elle organise des conférences, des publications, des concertations avec les autorités publiques, elle coopère avec les associations de défense de l’environnement et, si nécessaire, elle mène des actions judiciaires notamment à l’encontre des projets d’occupation ou d’aménagement du sol qui portent atteinte au massif de la montagne de Lure.