Le trafic autoroutier Italie-Espagne traverse la ville au plus près des quartiers arlésiens. L’Etat et la mairie plaident en faveur d’une déviation sud, qui impacterait la Crau et la Camargue. Une option que refuse un large collectif réunissant agriculteurs, scientifiques, manadiers, riverains et écologistes.

C’est un projet de déviation routière à haut risque de polémique. La faute à une autoroute A54 qui redevient nationale RN 113 dans sa traversée du Pays d’Arles et voit passer plus de 75 000 véhicules par jour aux portes de la ville. Poids lourds d’Europe de l’Est, d’Italie, d’Espagne, trafic interrégional, touristes… depuis des années, l’asphyxie guette ce barreau routier jeté par-dessus le Rhône et les quartiers sud arlésiens. Avec les conséquences qu’on connait : bruit, pollution, impact urbain et accidentologie au dessus de la moyenne.

Tronçon d’autoroute neuf

L’idée de le dévier ne date pas d’hier. Depuis les années 1990, l’Etat travaille à un projet alternatif.

Culture emblématique de la Camargue, le riz bénéficie d’une IGP. Crédit Centre Français du Riz (Photo de Une : Embouteillage de camions sur l’autoroute en traversée d’Arles. Pollution et nuisances garanties…. Crédit Florent Gardin/Agglo Arles Crau Camargue Montagnette).

Problème, les options retenues se focalisent toutes sur des déviations pures et dures. Par le nord ou le sud, chacune prévoit la construction d’un tronçon d’autoroute d’une dizaine de km, reliant Arles Est à Arles Ouest par un nouveau pont sur le Rhône. Un sillon qui impacterait fatalement les milieux naturels et agricoles. Le tracé sud privilégié par la DREAL PACA, à « moindre incidence » selon les études qu’elle a soumis aux habitants lors de la concertation publique, ne convient pas du tout à un large collectif de riverains. Cette concertation n’a d’ailleurs pas permis de trancher : si tout le monde s’accorde à dire que la situation actuelle ne peut plus perdurer – les plus proches habitants de l’autoroute en premier -, aucun consensus ne se dégage quand au tracé de la déviation.

6 000 personnes « contre »

« Ce contournement autoroutier est un projet dépassé et incompatible avec les engagements de l’Etat en matière de biodiversité, de climat et de non artificialisation des terres agricoles. On voudrait que le gouvernement s’en rende compte », plaide Marie-Hélène Bousquet-Fabre, vice-présidente d’Arles Camargue Environnement et Nature (ACEN).

Les manades, indissociables de la Camargue. Crédit Philippe Bourget

L’association est motrice dans cette lutte qui réunit une belle brochette d’acteurs de la vie camarguaise : la Tour du Valat ; le Centre Français du Riz ; la Chambre d’Agriculture des Bouches-du-Rhône ; le Comité du Foin de la Crau ; l’AOP Taureau de Camargue ; la Fédération des Manadiers ; France Nature Environnement ; l’Université du Possible de Jean-Paul Capitani, dirigeant de la maison d’édition arlésienne Actes Sud et époux de l’ex ministre de la Culture Françoise Nyssen… Au total, près de 6 000 personnes « contre », selon ACEN.

Jusqu’à 200 ha menacés

D’après les estimations du collectif, de 150 à 200 ha seraient menacés par le projet, avec pertes d’emplois à la clef. Et ce ne sont pas des terres anodines : des pâtures d’élevage ovin dans la Crau, des manades en Camargue, des zones de maraichage…

Le Domaine du Possible, centre d’enseignement et exploitation agricole novatrice dirigée par Jean-Paul Capitani, serait toute proche de la future déviation autoroutière. Crédit Philippe Bourget.

Sans parler des espaces de pleine nature sur la première zone humide et l’unique steppe méditerranéenne françaises. « La Camargue (…) est un sanctuaire de biodiversité à préserver absolument », écrit la Tour du Valat dans le dossier de presse de l’ACEN, rédigé en février 2021 après la fin de la concertation publique.

Voie sous-fluviale ?

Oui mais alors, que faire ? Pour éviter la déviation « Sud Vigueirat », le collectif milite pour le réaménagement de la RN 113. « Nous savons que le tracé actuel pose problème et nous voulons trouver une solution. Nous préconisons ainsi que les poids lourds en transit soient dérivés par le barreau A7/A9 [via Orange, ndlr]. Il est aussi possible de limiter la vitesse à 50 km/h dans la traversée d’Arles, de construire des murs anti-bruits et de poser des revêtements plus silencieux. Cela peut être fait tout de suite », pense la vice-présidente d’ACEN.

La Camargue est aussi un territoire de cultures céréalières. Crédit Corinne Dub.

Le projet qui recueille le plus la faveur du collectif est toutefois celui d’une « voie sous-fluviale longue ». Mais il n’a pas été retenu par la DREAL. « Il serait un peu plus cher que la déviation mais le prix n’est pas le seul argument à prendre en compte », ajoute Marie-Hélène Bousquet-Fabre.

Mairie et agglo pour la déviation

Du côté de la mairie d’Arles et de la communauté d’agglomération Arles-Crau-Camargue-Montagnette (ACCM), toutes deux dirigées par Patrick de Carolis fraîchement élu lors des municipales de 2020, la vision est autre. « Ce que nous voulons, c’est la requalification de la RN 113. Arles est complètement écorchée par ce tracé, avec 5 000 habitants qui vivent à moins de 150 m de la voie. Cela a un impact sur la santé et le bruit mais aussi une incidence sociale. La nationale passe à hauteur du quartier populaire de Barriol et l’isole du reste de la ville. Sans parler des 220 incidents de la route enregistrés chaque année, dont 83% d’accidents graves. Alors, oui, le contournement, il nous le faut. Et la DREAL nous dit que ce tracé Sud Vigueirat est le meilleur », milite Marie-Amélie Ferrand Coccia, conseillère municipale en charge des Transports, de la Mobilité et de la Sécurité Routière, également vice-présidente d’ACCM.

Les troupeaux de brebis pâturent l’hiver dans la Crau. La déviation impacterait quelques hectares de ce territoire. Crédit Gilles Martin-Raget.

Faire baisser le trafic à 30 000 véhicules/jour

Objectif : transformer la RN 113 en boulevard urbain, avec piste cyclable et voies réservées pour des bus à haut niveau de service. « De 75 000, nous voulons faire tomber la fréquentation à moins de 30 000 véhicules/jour », dit l’élue. Motifs sous-tendus : permettre la construction d’un port de plaisance sur le canal Arles-Port-de-Bouc et l’accès aux vestiges de l’ancien cirque romain, enclavé entre la « 113 » et le Rhône. « Nos enjeux au niveau de la ville ne sont pas moins importants que ceux environnementaux », assure Marie-Amélie Ferrand Coccia.

Pont-levis sur un canal en Camargue. Crédit Corinne Dub.

Fret ferroviaire et fluvial

La ville sacrifierait-elle quelques agriculteurs et principes de développement durable sur l’autel de l’aménagement urbain et touristique ? Certains le pensent. Mais l’élue s’en défend. « Lors de la concertation, nous avons fait part au préfet de notre intention de participer aux tables-rondes pour la rénovation de la gare de triage de Miramas. Le fret ferroviaire doit permettre de faire baisser le fret routier, notamment celui venant de Marseille. Et nous travaillons aussi à développer le transport fluvial ». Un quitus écologique qui ne résoudrait hélas pas le problème du trafic Italie-Espagne. Il suffit de comptabiliser les plaques ES et IT sur les camions, du côté de Saint-Martin-de-Crau ou de Trinquetaille, pour s’en convaincre.

Les chevaux de Camargue, race emblématique du territoire, travaillent avec les gardians sur des pâtures d’élevage taurin extensif. Crédit Philippe Bourget.

Projet à enjeu européen

La solution ne serait-elle pas de penser que le coût est un faux problème ? On creuse bien des tunnels pour traverser les montagnes, franchir des bras de mer et même la Manche. En ces temps de pandémie qui voient l’endettement et les emprunts d’Etat s’envoler sans que cela ne pose de souci éthique au gouvernement, on ose croire que l’environnement vaille bien un surcoût. Et que si l’option sous-fluviale est techniquement possible, on aurait tort d’en priver Arles et la Camargue. Après tout, il ne s’agit pas seulement d’un projet local. Mais d’une desserte autoroutière à enjeu européen, impliquant la France, l’Espagne et l’Italie. Un chantier communautaire, en quelque sorte. Raisonner « investissement » et non « dépense » permettrait de changer de paradigme en visant le long terme et la tranquillité future des générations arlésiennes.