Comment protéger le vivant et l’aider à se reconstruire ? Pour le Parc national des Calanques, l’enjeu est d’autant plus grand que le territoire est soumis à une forte fréquentation. Sur place, des progrès sont enregistrés grâce à une stratégie parfois inédite qui permet à des écosystèmes de reprendre le dessus.

  1. Entretien avec François Bland, directeur du Parc national des Calanques

« La biodiversité en mer s’améliore et va encore s’enrichir »

François Bland, directeur du Parc national des Calanques depuis 2013. Crédit PN des Calanques (Photo de Une : la Méditerranée à Sugiton. Crédit Philippe Bourget).

Après 10 ans d’existence du Parc national, quel constat faites-vous de l’état de la biodiversité dans les calanques ?

François Bland (F.B.) : « Il y a une amélioration. En mer, les Zones de Non Prélèvement (ZNP) ont permis d’augmenter considérablement la ressource halieutique. Les corbs et les mérous sont beaucoup plus présents qu’il y a dix ans, par exemple. Et le bon fonctionnement du vivant profite aux zones périphériques. Le respect de la règlementation est aussi important. Le but étant de bien expliquer comment ces zones fonctionnent, de façon à entrainer les pêcheurs dans une démarche durable de gestion ».

Le vivant en mer, c’est aussi l’herbier de posidonie et l’eau. Qu’en est-il de leur état de santé ?

F.B. : « Le parc jouxte une grande métropole, c’est une situation unique en France. Pour l’eau rejetée en mer, en 10 ans, beaucoup de progrès ont été effectués. Des bassins de rétention ont été construits et en cas de fortes pluies, elles y sont stockées puis traitées avant d’être rejetées. Il y a toujours des effluents provenant de l’usine Alteo de Gardanne mais ils ont diminué. Tous les rejets sont désormais aux normes. S’agissant de l’herbier de posidonie, à croissante très lente et vital pour la vie sous-marine, son statut de plante protégée ne suffit pas à le préserver. Sa sauvegarde passe notamment par la règlementation sur le mouillage des bateaux de plaisance et l’installation progressive de bouées écologiques ».

Les corbs, une espèce de retour dans les ZNP du Parc. Crédit PN Calanques/Frédéric Fedorowsky.

Sauf que pour les effluents de Gardanne, il y a toujours ces milliers de tonnes de boues rouges stockées au fond de la fosse de Cassidaigne…

F.B. : « Il n’est pas envisageable de pouvoir les enlever. Mais le travail de suivi sur le milieu marin montre que la vie reprend au dessus des boues. La réinstallation du vivant se traduit par la présence de coraux, de vers et de quelques poissons. Dans le canyon de Cassidaigne, nous observons des avalanches naturelles de sédiments qui viennent recouvrir les boues, ce sont des signes encourageants ».

Et à terre, le vivant a-t-il repris ses droits ?

F.B. : « Les enjeux ne sont pas de même nature mais nous avons une « remontée » biologique sur un certain nombre de sites. A travers le programme LIFE Habitat Calanques, un gros travail a été effectué sur la restauration des habitats littoraux, détruits par la fréquentation humaine. Nous avons arraché des plantes exotiques envahissantes* et replanté des espèces endémiques* pour reconstituer la phrygane littorale, un habitat naturel composé de plusieurs plantes. Nous arrivons au terme du programme LIFE mais il y aura une suite ».

Romarin en fleur, exemple de plante endémique dans les calanques, butinée ici par des hyménoptères. Crédit PN des Calanques.

Diriez-vous que la régulation des usages (piétons, vélos, kayaks, bateaux…) est l’axe clef pour protéger la biodiversité du parc ?

F.B. : « C’est un des aspects mais pas le seul. Nous devons agir sur plusieurs leviers. Et d’abord mettre en responsabilité le visiteur. Par l’éducation, il faut faire en sorte que chacun prenne conscience de son impact sur le milieu. Il faut aussi équiper et aménager les sites. Nous devons faire reculer la voiture, développer les transports en commun, les modes doux, éventuellement instaurer un système de navettes dédiées… La réflexion est en cours avec la mairie de Marseille et la Métropole Aix-Marseille Provence. Et enfin, oui, nous devons réguler les usages. C’est ce que nous allons faire à titre expérimental à Sugiton pour les piétons (voir ci-dessous, ndlr). C’est une première en France pour un site naturel. Pour le vélo, nous avons défini des itinéraires en dehors desquels il est interdit de l’utiliser. En mer, le mouillage est déjà proscrit à En Vau et à Port-Pin. Pour les kayaks, nous souhaitons éviter leur stationnement anarchique sur les rochers. Des bouées d’amarrage spécifiques seront mises en place à partir de 2023 ».

Réguler, c’est bien, mais il faut aussi contrôler. En avez-vous les moyens ?

F.B. : « En termes d’équipes, nous ne sommes pas encore au niveau de ce qu’il serait souhaitable. Surtout en mer, où il faut beaucoup de moyens. Cela est pourtant nécessaire pour limiter les infractions ».

Même relativement en harmonie avec la nature, le kayak mérite toutefois, selon le parc, d’être régulé pour éviter les accostages anarchiques. Crédit PN des Calanques.

Finalement, tout cela n’est-il pas un peu vain, au regard de la fréquentation croissante dans le parc ?

F.B. : « Il devient compliqué d’accueillir toujours plus de monde et nous appréhendons, en effet, la haute saison. Nous avons des nouveaux publics peu habitués à la nature à qui il faut apprendre à la respecter, en les éduquant sur la gestion des déchets, le bruit… Nous avons lancé une politique inédite que certains appellent le démarketing. Il s’agit de ne pas faire trop de promotion pour le parc et aussi d’avoir un discours de vérité. Il faut montrer la surfréquentation de certains sites, de ne pas vendre  ce qui n’existe pas ».

Toutefois, en dix ans, vous l’assurez, la biodiversité s’est améliorée. Quel pari faites-vous pour les dix prochaines années ?

F.B. : « Je suis assez confiant pour la partie maritime, la biodiversité va s’enrichir. Sur la partie terrestre, nous sommes très challengés, avec une pression qui sera sans doute toujours très forte. Le défi est d’apaiser l’interface entre la ville et les calanques, avec un accès beaucoup plus pacifié vers la nature ».

*Plantes envahissantes : Figuiers de Barbarie, agaves, griffes de sorcière… ; plantes endémiques : astragale de Marseille, plantain à feuilles en alènes…

  1. A Sugiton, un test inédit de contingentement

    Sugiton, un petit paradis en Méditerranée… Crédit Philippe Bourget

En ce mercredi après-midi de février, même Zacharie Bruyas parait surpris. « Il y a beaucoup de monde aujourd’hui », constate le chargé de communication du parc national des Calanques, en voyant la file de piétons se diriger depuis le parking de la faculté des Sciences de Luminy vers la calanque de Sugiton. Il fait beau, ce sont les vacances scolaires dans les zones A et C. Ceci explique cela.

On peut comprendre cet engouement. Après quelques minutes, le chemin d’accès débouche subitement sur un décor de rêve : un vallon calcaire caché au bord de la Méditerranée, des falaises à l’état brut, la mer bleue à l’infini… Voilà le charme du massif des Calanques, cette montagne abrupte plongeant en mer sans transition, loin, si loin déjà de Marseille, pourtant à deux pas.

Aux pics de saison, les randonneurs, très nombreux dans le massif, peuvent perturber le milieu. Crédit PN des Calanques.

75% de fréquentation locale

Sauf que cette ferveur à son revers. « En haute saison, il peut y avoir jusqu’à 1 500 personnes la journée. Les aménagements craquent durant ces périodes », reconnait Zacharie Bruyas. Il suffit de voir les rochers lustrés par les pas et les nombreux passages hors sentiers tracés par les visiteurs pour s’en convaincre.

Sans parler des estivants qui s’agrippent aux rochers pour profiter du moindre espace disponible. Les raisons de cet engorgement sont connues. Même si 75% de la fréquentation dans les calanques reste celle d’habitants de la Métropole Aix-Marseille Provence, l’arrivée du TGV à Marseille, le changement (positif) d’image de la ville et peut-être aussi la création du parc, en 2012, ont braqué un peu plus les projecteurs sur le massif.

Zacharie Bruyas, du PN des Calanques, devant les poteaux-fils installés pour guider les marcheurs sur les sentiers principaux. Crédit Philippe Bourget.

Endiguer l’érosion, protéger la pinède

Les conséquences à Sugiton sont d’autant plus dommageables que cette calanque est très fragile. « L’enjeu numéro 1 ici, c’est d’endiguer l’érosion. Nous devons ralentir la dynamique de perte des sols qui a un impact fort sur la végétation et notamment les pins. Car Sugiton est une des rares calanques boisées », souligne Zacharie Bruyas.

Alors pour protéger ce « vivant », le parc a engagé une série d’actions. L’une d’elles a consisté à installer des « poteaux fils » pour canaliser les marcheurs sur les sentiers d’accès. Et éviter qu’ils ne dévalent les versants en coupant court. Une autre est probablement inédite en France pour un espace naturel : le contingentement.

Des pans de calcaire « jetés » dans la Méditerranée, telle est la géologie, fragile, du massif des Calanques. Crédit Philippe Bourget.

Permis de visite dès le printemps

« Nous allons mettre en place un permis de visite à partir de la fin du printemps. Il sera réservable en ligne jusqu’à la veille au soir et limité à 200 ou 300 personnes maximum. Il y aura deux points de contrôle à l’entrée des accès principaux. Des vérifications seront aussi opérées dans la calanque, afin de s’assurer que chacun soit bien en possession du permis. Les agents du parc pourront verbaliser si nécessaire ».

L’expérimentation pourra surprendre les randonneurs, généralement habitués à accéder librement aux sites de plein air. D’autres seront éventuellement incités à privilégier une visite en dehors de la saison. A condition qu’il soit informé, cette coercition aidera peut-être le public à s’inquiéter d’une nature soumise à des pressions constantes.