houblon bio paca

Sous l’impulsion de l’association Bière de Provence, la culture de houblon bio et local en Provence-Alpes-Côte d’Azur est en cours d’expérimentation. L’objectif ? Structurer une véritable filière de proximité et de qualité pour répondre à la demande des nombreuses brasseries artisanales de la région.

2012 : quelques brasseurs se réunissent en association. Histoire d’affronter ensemble les différentes questions rencontrées en micro-brasserie. Aujourd’hui,  Bière de Provence représente 22 brasseries artisanales. L’envie de structurer des filières locales pour l’approvisionnement en matières premières est née en travaillant ensemble. Tous produisent une bière en louant la proximité et l’éthique. Problème : les ingrédients de base, le houblon et l’orge, ne sont pas locaux. Alors en 2018, Bière de Provence dépose un projet d’essais variétaux de houblon bio en PACA auprès du Conseil régional. A la clé, une subvention du fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER). Acceptée en 2019, l’expérimentation est en cours de réalisation.

Un contexte favorable

En France

Aujourd’hui, les premiers producteurs de houblon sont les Etats-Unis et l’Allemagne. La France n’est qu’en 10e position, avec une surface cultivée divisée par 10 en 100 ans. De 4500 hectares à l’orée de la première Guerre mondiale, elle est passée à 505 hectares en 2020. 96% de la production française[1] est concentrée en Alsace. La majorité est cultivée en conventionnel, seuls 50 ha sont en agriculture biologique. Si ce chiffre tend à évoluer (entre 2015 et 2019, la surface labellisée AB et en conversion a quintuplé pour passer de 21 à 110 hectares)[2], le houblon bio utilisé par les brasseries françaises est principalement produit dans la vallée de Yakima, aux Etats-Unis.

Pourtant la demande en houblon biologique et local augmente dans notre pays. Entre 2012 et 2018, le nombre de microbrasseurs a plus que triplé en France.[3] Cette hausse s’est logiquement accompagnée d’une augmentation de la demande pour les produits liés à la fabrication de la bière, dont le houblon. L’engouement pour les filières locales des consommateurs et des acteurs de la filière tend à favoriser l’approvisionnement en circuits courts des petits brasseurs.

En région Sud Provence-Alpes-Côte d’Azur

Pour répondre à cette demande, on observe dans les régions françaises le développement de filières locales de houblon. En PACA, il n’existe encore aucune structure à proprement parler. La demande est toutefois bien là, comme ailleurs : une enquête[4], réalisée par Agribio 04 et Bière de Provence, a évalué les besoins de 18 brasseries de la région à 2 tonnes de houblon. Sachant que les microbrasseries sont plus d’une centaine en PACA, la demande réelle est encore plus importante.

Pourtant cette demande est loin d’être comblée par l’offre très faible émanant des quelques houblonnières installées. Il existe en plus un manque de références propres à la culture du houblon dans un environnement provençal. La très grande majorité des documents technico-économiques existants portent sur la culture en Alsace ou dans le Nord de la France, mais peu sur le reste du territoire.

Houblonnière – Parcelle expérimentale à Callian (83)

Le projet Houblon

Le projet porté par Bière de Provence consiste à réaliser des essais variétaux de houblon bio pour comprendre comment cette culture peut s’adapter aux conditions pédoclimatiques (conditions de climat auquel est soumis un sol) en PACA. Un référentiel technico-économique adapté aux contextes de la région répertoriera les résultats sur la culture et in fine sur la filière. Pour se faire, l’association Bière de Provence a su s’entourer ; elle s’est associée à Agribio 04 pour le volet technique et au GRAB (Groupe de Recherche en Agriculture Biologique) pour la mise en forme des protocoles expérimentaux. Jordi Sanchez, installé depuis 2013 dans la houblonnière Lupulina en Catalogne a rejoint le projet comme intervenant. Il apporte un retour d’expérience et un recul unique sur cette culture en Méditerranée.

De la culture….

Il s’agit avant tout d’une expérimentation participative. Six houblonnières réparties dans la région (Chorges, Callian, Solliès Pont, Entraigues-sur-la-Sorgue, Cabrière d’Aigues et Forcalquier) sont cultivées par des volontaires. Une parcelle expérimentale a également été installée au centre de formation professionnelle et de promotion Agricole (CFPPA) d’Aix-Valabre, à Gardanne.

Cette démarche permet d’observer l’évolution des cultures dans les conditions de la pratique paysanne et dans des contextes pédoclimatiques variés de la région. Deux fois par mois, Victor Frichot et Nathan Boiron, chargés du projet houblon au sein d’Agribio 04, se rendent sur les lieux. Ils mesurent la croissance des plantes, la tensiométrie (force déployée par la racine pour extraire l’eau du sol), le développement de maladies (comme le mildiou, présent sur la vigne également) et de ravageurs (les pucerons ou acariens) et le rendement final. Ils accompagnent également les participants dans la gestion de leur parcelle.

… A la bière

L’aspect brassicole vient compléter cette étude expérimentale. Une fois récoltés et séchés, des échantillons sont envoyés au laboratoire d’analyse SAI Chimie pour les faire analyser. Là sont mesurés les acides alpha, qui donnent à la bière son amertume, et les huiles essentielles, qui lui donnent ses arômes.

Quand un brasseur veut acheter du houblon, ces descriptifs lui permettent de choisir son houblon, selon le caractère qu’il veut donner à sa bière. Ces propriétés varient en fonction de la variété de houblon mais aussi des conditions dans lesquelles il a poussé. Mégane Vechambre, coordinatrice chez Agribio 04, nous explique : « On suppose qu’il peut y avoir un effet terroir, comme pour le vin. Selon la région dans laquelle on cultive le houblon, il peut y avoir un effet sur sa composition en huiles essentielles et en acides. On se demande donc ce que donneront les variétés choisies en PACA. »

Une fois le houblon analysé, des brasseurs en feront des brassins test pour dégustation.

Structure de la houblonnière – Parcelle expérimentale à Callian (83)

Du houblon en PACA ?

Une culture exigeante

La culture du houblon est technique et coûteuse.

Le houblon est un rhizome sur lequel poussent des lianes qui peuvent atteindre 10 mètres. Ses fruits, en forme de cônes, sont difficiles à récolter. Après la fructification, les lianes se dessèchent pour repartir l’année suivante, depuis le même rhizome. Ces particularités requièrent une infrastructure importante faite de poteaux et de câbles, et des outils spécifiques. Megane Vechambre estime en moyenne le coût de l’installation à 40 000 euros l’hectare. Une fois en terre, le rhizome atteint sa productivité en trois ans ; il peut alors durer plus de vingt ans.

Récolte du houblon en 2020 – Parcelle expérimentale à Cabrières d’Aigues
(84)

Cette culture demande du soin et de l’observation. Elle est sensible aux maladies et au manque d’eau. L’irrigation est une vraie question dans la région. Pourtant, Mégane Vechambre ne considère pas qu’il s’agisse d’un frein suffisant : « Il existe d’autres cultures demandeuses d’eau dans la région, à commencer par le maraîchage. L’important est de prendre en compte ce besoin lors de l’installation et de penser son accès à l’eau. » Pour cela, la vallée de la Durance lui semble être un terrain propice au développement du houblon.

Des résultats prometteurs

Le premier constat est le suivant : le houblon pousse dans la région. Il y est présent à l’état sauvage, et depuis quelques années, dans de petites houblonnières. Il semblerait même que le houblon puisse s’adapter à des sols variés.

Selon Nathan Boiron, d’Agribio 04, la question porte plutôt sur la possibilité d’une professionnalisation, c’est-à-dire d’une production de houblon sur des surfaces plus importantes. Quels seront les rendements ? Des maladies vont-elles se développer ? Sous quelles conditions pourra-t-on cultiver plusieurs hectares ? Les expérimentations sont encore trop récentes et les parcelles trop petites pour en rendre compte. Deux houblonniers s’installent cet été à Forcalquier et à Reillanne, sur deux hectares chacun, Karl Gobyn et Florian Mongin. D’ici deux ou trois ans ils pourront donner des résultats fiables sur ces questions.

Quelques résultats propres au territoire se distinguent tout de même. Les itinéraires techniques traditionnels pratiqués dans le nord devront donc être adaptés à notre région. Par exemple, ici le houblon n’est pas confronté à l’oïdium, maladie pourtant présente dans le nord. Par contre il connait un ravageur, l’araignée rouge qui n’existe pas ou peu dans les houblonnières alsaciennes.

L’araignée rouge (qui est en réalité un acarien) s’installe sous les feuilles

Une filière en développement

En vue de la création d’une filière, Bière de Provence organise des discussions entre brasseurs et houblonniers. L’hiver dernier, une enquête auprès des brasseurs a permis de répertorier les préférences des premiers en termes de variétés et de transformation du houblon. Echanger sur ces sujets, c’est déjà réfléchir au développement de la filière selon Nicolas Garcin, brasseur et secrétaire adjoint de la Bière de Provence :  Quelles variétés seront plantées ? Quelles quantités ? Quelles méthodes de transformation ? Est-ce qu’il faudra s’équiper à plusieurs ou individuellement ? Quelle structure choisira-t-on de créer ?

Ces questions sont complexes, notamment en raison de l’implantation historique du houblon en Alsace. Tout y est centralisé et il est difficile pour les nouvelles houblonnières de se faire entendre. L’objectif selon Nicola Garcin est d’arriver à créer une structure qui porte la voix de la filière en PACA.

Lorsqu’on parle de filière, Bière de Provence ne s’arrête pas là.  Depuis 2020, ses membres travaillent également en partenariat avec Agribio 04 sur le développement d’une filière orge-malt-bière.

Parcelle expérimentale de Valabre à Gardanne (13)

Pour aller plus loin

Sur les pas de la transition – La bière Ribelly

Bleu Tomate part à la découverte de la brasserie artisanale du Mas Ribelly. Ghislain s’est porté volontaire en 2018 pour participer au projet houblon de la Bière de Provence. Suite à la découverte de cette culture, il a fait de sa passion son métier et de ses valeurs des réalités : il produit désormais une bière bio et locale à partir de sa culture de houblon.

 

Agribio 04

Créée en 1999, Agribio 04 est l’association qui regroupe les producteurs biologiques des Alpes de Haute-Provence. L’association a pour objectifs de défendre, promouvoir et développer l’agriculture biologique sur le territoire.

 

La Bière de Provence

La Bière de Provence est l’association régionale des professionnels de la filière brassicole en région Sud Provence-Alpes-Côte-d’Azur PACA. Elle a pour objectif de faire la promotion de la bière artisanale sur le territoire et de soutenir l’émergence d’une filière brassicole régionale respectueuse des Hommes et de l’environnement.

 

Le GRAB, Groupe de Recherche en Agriculture Biologique

Créé en 1979, le GRAB est une association d’agriculteurs bio et de partenaires investis dans la recherche et le développement de l’agriculture biologique dans les régions de la PACA, Rhône-Alpes et Occitanie. Leur travail porte sur le maraichage, l’arboriculture et la viticulture.

Houblons de France

Houblons de France est une association de planteurs de houblon qui agit pour la promotion de cette culture, accompagne les porteurs de projet et représente les néo-houblonniers installés au sein de cette filière.

 

[1] https://www.comptoir-houblon.fr/content/221-chiffres-cles).

[2] http://www.epsilon.insee.fr/jspui/bitstream/1/137505/1/agr_GE_essentiel_2020_8.pdf

[3] https://fr.statista.com/infographie/19362/evolution-du-nombre-de-brasseries-et-microbrasseries-en-france/

[4] Synthèse enquête filière houblon PACA 2020, Agribio 04 et La Bière de Provence