La sortie du livre « Osons la Nuit », de Johan Eklöf, le 6 octobre, est l’occasion de parler du phénomène de la pollution lumineuse nocturne. Le thème fait écho à la crise énergétique actuelle et aux appels à la réduction de la consommation électrique. Une alerte entendue en région Sud comme ailleurs.

Dans son livre, le chercheur et écologiste suédois Johan Eklöf évoque la nécessité « d’oser vivre l’obscurité pour préserver le vivant ». Car l’obscurité, sur notre planète menacée, est d’une importance vitale. En effet, la pollution lumineuse et l’excès d’éclairage produisent des effets délétères.

Hommes et animaux impactés par la pollution lumineuse

Chez l’homme, les conséquences d’un éclairage excessif touchent principalement les cycles du sommeil, mais aussi une dégradation de la qualité de vie. Il est ainsi impossible d’observer les étoiles dans les secteurs les plus pollués, principalement les grandes agglomérations. La faune est elle aussi impactée. Désorientés par l’éclairage urbain, des milliers d’insectes nocturnes disparaissent, perturbant l’ensemble de la chaîne alimentaire qui lie les organismes vivants. La lumière expose d’autres espèces aux prédateurs, réduisant leurs territoires ou créant des pièges lumineux pour d’autres.

Papillon Ecaille Fasciee – RNR © N.Bernardin (photo de 1 : RICE Alpes Azur Mercantour – Plateau de Calern © François Xavier Cuvelier)

Par temps couvert, un phénomène amplifié

85% du territoire métropolitain est ainsi exposé à un niveau élevé de pollution lumineuse. C’est ce que révèle le nouvel indicateur de l’Observatoire National de la biodiversité (ONB), qui vient de paraître dans son bilan 2021. Ce taux correspond au pourcentage du territoire national fortement exposé à la pollution lumineuse en cœur de nuit par ciel clair (les données proviennent d’images satellites). Ce chiffre n’est cependant qu’une estimation basse du phénomène, notamment pour deux raisons : la grande majorité des espèces nocturnes et diurnes sont très actives en début et/ou en fin de nuit. Et par temps couvert, ce phénomène s’amplifie puisque la lumière artificielle est réfléchie par les nuages. Sans surprise, c’est dans les grandes agglomérations que se concentrent les plus fort taux de luminosité. Mais les territoires ruraux sont aussi concernés et en Région Sud PACA, les actions émergent.

Frederic Rouet maire de Villes sur Auzon © Villes sur Auzon

Villes-sur-Auzon, dans le Vaucluse, Village Etoilé

C’est cette problématique à laquelle s’est attaquée Villes-sur-Auzon (Vaucluse), commune engagée depuis 2015.

Frédéric Rouet est le maire de ce village de 1 350 habitants, situé dans le Parc Naturel Régional du Ventoux, à proximité des gorges de la Nesque. Depuis son premier mandat, il se préoccupe du sujet. Eteindre l’éclairage public ? C’est déjà effectif, la commune est labellisée depuis 7 ans Village Etoilé. D’une plage d’extinction originelle entre minuit et 5h du matin, la commune va l’étendre dès novembre de 22h30 à 5h30. «Au départ, c’était une question d’économie. Et avant de mettre en place ces mesures, deux conseillers municipaux ont mené leur enquête auprès de 40 à 50 communes. La population était dubitative. La gendarmerie était contre. Le premier argument était bien sûr la crainte d’une recrudescence des atteintes à la sécurité ». Et aujourd’hui ? « Je peux vous assurer que notre village est bien plus calme ! On constate une diminution significative des nuisances, notamment le tapage nocturne. Et du coup je fais le tour avec le major de la gendarmerie pour prêcher la bonne parole. Nous allons ensemble dans les villages qui souhaitent suivre notre exemple. Nous sommes par ailleurs labellisés Capitale Régionale de la Biodiversité depuis 2019. Limiter la pollution lumineuse, c’est agir fortement pour la protection de la biodiversité. Et pour nous, elle est tout autant un patrimoine à préserver que nos monuments historiques. Enfin, notre engagement dans ces actions nous a permis d’intégrer le programme « Territoires engagés pour la Nature ».

A Villes sur Auzon, village de 1350 habitants, la prise en compte de la pollution lumineuse ne date pas d’aujourd’hui © Villes sur Auzon

La Réserve Internationale de Ciel Etoilé Alpes Azur Mercantour

Dans le Mercantour aussi, on se mobilise. Depuis 2019, la RICE (Réserve Internationale de Ciel Etoilé) Alpes Azur Mercantour est un exemple de partenariat inter-territoires. Ce territoire de près de 2 300 km² se situe à quelques kilomètres du littoral fortement peuplé de la Côte d’Azur. Il regroupe 74 communes, 21 530 points lumineux et 6 hauts lieux de l’astronomie professionnelle et amateur. Il est le 3ème RICE de France après le Pic du Midi de Bigorre et le Parc des Cévennes. Il mobilise les acteurs de la Communauté de communes Alpes d’Azur, le Parc naturel régional des Préalpes d’Azur, le Parc national du Mercantour et le Département des Alpes-Maritimes.

Agir sur le privé

Sterenn Poupard, la chargée de mission RICE de la Communauté de communes Alpes d’Azur, en détaille les tenants et aboutissants. « Ce label est attribué pour 10 ans, avec l’engagement d’atteindre 100% de conformité avec les objectifs annoncés. Ces engagements sont écrits. Chaque commune les signe. Dans ce que l’on appelle les « zones cœur », l’éclairage public est totalement proscrit, ou très limité. Mais la principale difficulté est d’agir sur le privé. Notre travail de sensibilisation, tant des élus que de la population locale, est permanent. Les maires rencontrent souvent des difficultés pour mettre en œuvre les réglementations. Et parallèlement nous manquons cruellement de spécialistes à même de les accompagner. Toutes les lois et règlements concernant la pollution lumineuse sont essentiels. Mais le vrai défi est de les porter et les rendre applicables par ceux qui en ont la responsabilité ».

Le RICE Alpes Azur Mercantour

Modification des gènes chez des amphibiens

La question est une nouvelle fois posée sur le sentiment d’insécurité qui peut émerger face à l’obscurité. Sterenn Poupard assure que tous les rapports et études menés sur le sujet, tant par les forces de l’ordre que les sociologues, confirment l’irrationalité de ce sentiment. Et les faits racontent plutôt le contraire. Par ailleurs, « il faut savoir que la nuit est le dernier refuge de la faune sauvage. Pour certaines espèces, les conséquences sont déjà irréversibles. On a constaté une modification des gènes chez certains amphibiens. Malgré tout, la nature peut être résiliente, et surtout, l’action sur la pollution lumineuse est la plus rapide à mettre en place, contrairement aux autres sources de pollution ».

Surveiller les enseignes marseillaises

D’autres exemples sont à citer… L’association « les Amis de la Terre », dans les Bouches-du-Rhône, a lancé en octobre l’application Extinction Nocturne. Elle propose une carte détaillée de Marseille et de ses alentours, qui indique quelles enseignes restent allumées la nuit (magasins, banques, agences immobilières…), à quelle heure et à quelle fréquence. L’objectif d’une telle initiative n’est pas tellement de dénoncer les enseignes qui ne respectent pas la loi. Il s’agit plutôt de sensibiliser les commerçants et les citoyens au gaspillage énergétique.

Collectifs, militants et citoyens dans l’action

Le collectif de militants écologistes « Lights off », fortement médiatisé depuis quelques années, se met en scène de manière plus spectaculaire. Composé d’adeptes de parkour (sport acrobatique qui consiste à franchir des obstacles en nature ou en ville), ses membres, tels des acrobates, éteignent les lumières des vitrines. D’autres activistes réalisent des actions similaires, à l’instar du mouvement de désobéissance civile Extinction Rebellion. Enfin, chaque personne peut participer dans toute la France à la journée annuelle « Le Jour de la Nuit ». Le 15 octobre dernier, elle a comptabilisé près de 800 évènements organisés sur tout le territoire. Extinctions de lumières,  animations, expositions… Le citoyen est de plus en plus acteur et actif, partout…

Osons la Nuit – Manifeste contre la pollution lumineuse. Johan Eklöf Edition Tana – 19.90€

Un cadre réglementaire précisé

Différents textes de loi et réglementaires précisent depuis 2013 les mesures d’extinction des lumières des vitrines, intérieurs de commerces et bureaux, de même que les enseignes lumineuses. Des prescriptions techniques précisent également les conditions d’éclairage des parkings, parcs et jardins, mises en lumière du patrimoine, chantiers de la voirie publique et privée. Mais leur mise en œuvre était quelque peu laissée à la discrétion des communes.

Depuis le 7 octobre, un décret régit désormais de manière unitaire sur le territoire la gestion des éclairages publics et commerciaux, qui doivent être éteints au plus tard à 1h du matin. Il exige de même l’extinction de tous les panneaux publicitaires entre 1h et 6h du matin, afin de réaliser des économies d’énergie (les panneaux présents dans les aéroports, gares, stations de métro ou de bus ne sont pas concernés). De plus, en cas de signal « Ecowatt rouge » mis en place par RTE, toutes les publicités lumineuses seront concernées par une extinction totale.

Le label national « Villes et Villages Étoilés »

Les résultats de la dernière édition du label « Villes et Villages Étoilés » ont été annoncés en 2021. 722 communes sont actuellement labellisées de 1 à 5 étoiles, avec une progression de près de 26 % des résultats globaux depuis 2018. Selon l’Association Nationale pour la Protection du Ciel et de l’Environnement Nocturne (ANPCEN), les villes labellisées éclairent 34 % de moins que la moyenne nationale. L’éclairage public constitue le deuxième poste d’investissement d’une collectivité et représente un coût de 2 milliards d’euros en France chaque année. La région Paca occupe pour sa part la sixième place dans le classement des régions les plus labellisées, avec 54 communes affichant un label encore valable, toutes éditions confondues.

l'ANPCEN a 20 ans