Pendant que les feux ravagent les forêts sous nos yeux, un autre genre d’incendie meurtrit les fonds marins de la Méditerranée. Depuis la mi-août, les gorgones rouges, espèce emblématique de Marseille, connaissent un épisode massif de mortalité inédit probablement dû à la chaleur.

« Imagine : tu es devant une forêt, que tu connais bien et qui, en 4 jours, a brûlé sur les 200 premiers mètres, là où il fait le plus chaud. C’est choquant […] C’est l’effet que ça nous a fait. »

Voilà le tableau que dresse Solène Basthard-Bogain, directrice adjointe de Septentrion Environnement, pour parler de la forêt marine que constitue les gorgones rouges. Cette espèce animale, cousine du corail rouge de Méditerranée, colore habituellement le paysage sous-marin marseillais. Pourtant les 18 et 19 août, suite aux violents orages survenus dans les Bouches-du-Rhône, des plongeurs font les premières observations de mortalité des gorgones rouges.

Depuis, les alertes se multiplient à Marseille. L’équipe de Septentrion Environnement prend toute la mesure de la crise. « Nous ne pouvions pas laisser passer cela. Il fallait faire le travail de terrain pendant la crise pour pouvoir la documenter et la comprendre. »

Lundi 29 août, son équipe et ses partenaires* se réunissent autour de la table, virtuellement pour beaucoup. Le soir même, le consortium scientifique expert de l’espèce et de son habitat (le coralligène**) est réunit. Certains ont fait le trajet depuis Sète et Barcelone.

Gorgones rouges

Gorgones rouges en 2018 dans le site de plongée Caramassaigne  ©Septentrion Environnement

Un constat inquiétant

Sur les sites sous-marins marseillais observés, 70 à 90 % des populations de gorgones rouges vivant entre 10 et 30 mètres de profondeur sont touchées.

« Les gorgones sont colonies arborescente de petits animaux dont l’individu de base se nomme le polype. Si une nécrose touche seulement une partie de la colonie, cela ne signifie pas que l’ensemble de la colonie va mourir. Sauf que là, nous constatons que c’est souvent 60 % à 70 % des colonies qui sont touchées. Elles vont donc probablement mourir. Sans parler de celles touchées à 100 % qui ne sont déjà plus que des squelettes blancs. »

La gorgone rouge n’est pas la seule espèce touchée : des éponges, quelques gorgones jaunes, ou blanches et des bivalves ont également souffert.

Gorgones rouges dans le même site en 2022 ©Septentrion Environnement

La canicule est en cause

La chaleur est la principale explication retenue. Cette espèce a déjà souffert suite à de grands épisodes de chaleurs comme en 1999, 2003 ou 2006.  Mais Solène ne croit pas à cette simple explication : « Nous savons que la chaleur joue, mais ce sont sans doute des facteurs combinés qu’il faut chercher. Le phénomène a débuté après un gros orage : un choc thermique aurait-il favorisé la mortalité ? La chaleur modifierait-elle le microbiote de l’espèce ou permettrait-elle à un pathogène de se développer ? »

Les scientifiques poursuivent les observations et prélèvements. Les résultats ne sont pas pour tout de suite : les analyses sont techniques, prennent du temps et coûtent chère : des financements seront nécessaires. « Pour l’instant nous n’avons pas de réponses, mais beaucoup de questions. »

Prélèvement gorgones rouges

©Septentrion Environnement

Quel impact finalement ?

« Le deuxième objectif de notre suivi va être la mise en place d’un protocole d’évaluation de la résilience de cet habitat ». Cela laisse plusieurs pistes en suspens.

Solène est pessimiste quant à la survie des gorgones nécrosées. Le squelette restant risque de « casser » et ne pourra plus accueillir de polype. « Je ne pense pas que les gorgones vont survivre dans ces petits fonds, je pense plutôt que la forêt animale va reculer vers des profondeurs plus clémentes ». En effet, les populations en dessous des 30 mètres ne sont pas impactées.

Les gorgones, le corail rouge, les éponges vivent sur les substrats rocheux du coralligène. Ce dernier abrite 15 à 20 % des espèces connues de la Méditerranée. Langoustes, rascasses, dorades, dentis, comment évolueraient-ils sans les gorgones qui leur offrent un milieu de vie et de logement, à la manière des arbres dans nos forêts vis-à-vis des oiseaux, des insectes et des écureuils ?

Inversement, il est possible que de petites gorgones apparaissent l’an prochain. Dans ce cas, il leur faudra du temps pour reprendre de l’ampleur et redevenir des forêts animales conséquentes. Certaines avaient 50 à 100 ans. « Avec des épisodes de canicules de plus en plus fréquents, nous pouvons nous demander si le temps nécessaire à leur développement et à leur capacité de résilience leur sera accordé »

AUDIO : Et toi Solène, que ressens-tu face à cet événement ?

* Le Parc National des Calanques, le MIO (Institut Méditerranéen d’Océanologie de Marseille ; laboratoire CNRS-Université Aix Marseille), le Centre Scientifique de Monaco, le  laboratoire Marbec (IFREMERUniversité de Montpellier) et le CSIC (équivalent espagnol du CNRS  français)

** Le coralligène est un écosystème sous-marin constitué d’un amoncèlement d’algues calcaires et d’autres organismes vivants.

Crédits photo de couverture : Septentrion Environnement

Septentrion Environnement est un collectif de passionnés de la mer, professionnels pluridisciplinaires. Ses actions s’inscrivent dans trois domaines d’expertise.

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  • La science : dans leur laboratoire, les scientifiques de Septentrion Environnement pilotent des programmes de recherche avec leurs partenaires pour comprendre le fonctionnement des écosystèmes marins côtiers méditerranéens et œuvrent à leur conservation en lien avec les gestionnaires.
  • La formation : par des interventions dans un ensemble de diplômes de la formation initiale et continue, en lien avec des partenaires académiques
  • La médiation : Septentrion Environnement organise des animations immersives et des activités de découvertes et prises de conscience. Elle forme et invite à la science participative en plongée sous-marine.