Le Grand Débat permet aux professionnels de la mer, particuliers et scientifiques, d’échanger. Ensemble, ils doivent trouver comment coordonner les usages de l’espace maritime. Nous avons interrogé la scientifique Sandrine RUITTON sur l’état des fonds marins.
Auteur de nombreuses études sur le milieu marin, Sandrine RUITTON, Maître de conférences à l’Institut Méditerranéen d’Océanologie (Aix-Marseille Université), annonce très simplement la couleur : « pour l’intérêt général, limitons les pressions exercées sur la mer » !
BT : On parle souvent de l’herbier de posidonie qui occuperait entre 20 et 50% des fonds côtiers de la Méditerranée. En quoi cet habitat est-il essentiel ?
Tout d’abord, il faut savoir que la posidonie est une espèce endémique de la Méditerranée. Elle se trouve essentiellement dans les eaux côtières peu profondes, qui sont par ailleurs les zones les plus touchées par toutes les pollutions. On évoque souvent pour l’herbier de posidonie son rôle de puits de carbone. Dans le contexte du réchauffement climatique, c’est une réalité.
Mais il n’a pas que cette fonction. Son rôle écologique est majeur. Il est un écosystème inégalé en accueillant plus de 20% de la biodiversité méditerranéenne. Sa préservation est une nécessité, en tant que maillon indispensable des ressources littorales. C’est également une protection très efficace contre l’érosion du littoral, en réduisant de manière significative l’énergie des vagues.
BT. Vous présentez dans une de vos études les nombreuses pressions auxquelles la posidonie est confrontée (activités industrielles, agricoles, urbaines, maritimes,..). Mais la plus dommageable pour vous reste sa destruction physique.
Effectivement, il est souvent question des dommages générés par le mouillage des bateaux. Mais n’oublions pas que l’artificialisation du littoral est un facteur non négligeable de destruction. Tout ce qui est pris sur la mer fait disparaître le tapis de posidonie. Dans les années 1960 à 1990, le sujet n’était pas à l’ordre du jour. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Les services rendus par la posidonie sont connus et reconnus.
Il faut savoir qu’1 m² d’herbier détruit va nécessiter plusieurs dizaines d’années pour se reconstituer. Les méthodes pour y parvenir sont plus ou moins efficaces et surtout coûteuses, comme la plantation de boutures. De plus, ce travail nécessite de vraies compétences et ne peut donc être réalisé que par des professionnels. Pas de sciences participatives pour l’herbier de posidonie ! Quant au process pour replanter, il est également très réglementé.
BT. Et qu’en est-il des dommages occasionnés par les engins de pêche perdus ?
La restauration des écosystèmes lors du retrait d’engins perdus est une action essentielle. Ces pertes sont involontaires mais le coût de restauration du milieu endommagé particulièrement élevé. Les financements ne peuvent qu’être publics ou via des fonds privés au travers de fondations.
Sur l’ensemble des océans du monde, ce fléau représente 10% des déchets marins. Ce n’est donc pas anecdotique. Ils altèrent sans équivoque l’ensemble des habitats marins. Notre chance est que leur retrait permet une amélioration significative des fonds concernés. Mais une fois encore, malgré toute la bonne volonté des associations qui œuvrent dans le nettoyage des zones littorales, ces tâches ne peuvent être réalisées que par des professionnels, ce qui explique leur coût. L’amélioration de cette situation passera nécessairement par une collaboration entre gestionnaires des espaces et pêcheurs professionnels.
BT. Il est beaucoup question de l’éolien en mer comme élément du mix énergétique. Notre région est tout particulièrement concernée, avec la première ferme expérimentale opérationnelle début 2024 au large de Port St Louis du Rhône. Est-ce pour vous une autre forme de pression ?
Les choix qui doivent être faits pour réussir la transition écologique sont aujourd’hui sur la table. L’éolien en mer en fait partie. Ses impacts sont avérés mais ils sont considérés comme supportables au regard des bénéfices obtenus. Le projet de Provence Grand Large a opté pour le système des éoliennes flottantes. L’avantage de cette technique est de limiter l’emprise sur les sols puisqu’il n’y a pas de socle béton coulé sur le fond marin.
Les effets sur la faune et la flore marine ont été étudiés*. La problématique concerne surtout les oiseaux et le positionnement des éoliennes sur les voies migratoires. Des mesures pour limiter les impacts vont être testées avant la mise en service du parc complet annoncé pour 2031.
Enfin, il ne faut pas oublier les nuisances occasionnées au milieu marin par le bruit. Le bruit de nos villes, de nos engins à moteur. Les interférences subies par les poissons sont connues. La période COVID avait apporté la preuve, ici comme ailleurs, des impacts très forts sur la communication entre espèces, du bruit permanent imposé au monde sous-marin. Une autre forme de pression…
* 2014 a vu la mise en place d’un Comité Scientifique. Il a en charge de suivre et mesurer les impacts sur l’environnement, notamment animaux marins et oiseaux. Des mesures sont déjà mises en place. Elles seront complétées à l’exploitation des éoliennes par l’installation d’un radar. Il s’agira d’identifier les interactions entre éoliennes et oiseaux marins, notamment en période de migration. Il est d’ailleurs déjà installé sur la plage Napoléon, en partenariat avec le Parc Naturel Régional de Camargue.
Des caméras activées H24 pourront déclencher un système d’effarouchement sonore en cas de collision. Enfin, en partenariat avec le Parc National des Calanques, des sites de nidifications pour mouettes et sternes seront créés. Le risque avéré sur les espèces marines et volantes a été diagnostiqué comme faible à nul en passant par négligeable. Mais le suivi se poursuit afin que d’autres mesures puissent être prises si nécessaire.
Dans le même temps, l’Etat au travers de l’Observatoire National de l’Eolien en mer a lancé un appel à projets de recherche. Il souhaite mieux connaître les interactions entre l’éolien en mer et l’environnement. Les lauréats seront désignés au mois de mars 2024.
Pour préserver la mer ? je dessine ! En lien avec votre article, plasticienne, j’ai réalisé une série de dessins sur la pollution des océans conçue à partir de photographies de particules de plastiques trouvées sur des plages aux quatre coins du monde ! : https://1011-art.blogspot.com/p/ordre-du-monde.html
Et une autre série que je débute « Laisse de mer » sur la pollution par la pêche industrielle, 47 % du 7ème continent : https://1011-art.blogspot.com/p/laisse-de-mer.html