Manon et ses moutons au Calavon

De Goult à Oppède, un troupeau va arpenter –et grignoter- un mois durant, friches et pelouses sèches en bord de rivière. Objectif : protéger la biodiversité de façon naturelle. A la manœuvre, une éco-bergère, le Parc naturel régional du Luberon et le Conseil départemental du Vaucluse.

Elle est née en Bretagne, mais c’est dans le Luberon qu’elle s’est installée. Son métier : bergère. A 30 ans, Manon Lefebvre, ingénieur agronome et docteure en agro-écologie,  s’est même déjà spécialisée dans l’éco-pâturage depuis 3 ans avec sa petite entreprise « Le troupeau d’Elzéard« . En plus de manger nature, les brebis qu’on lui confie  sont promues  agents de l’environnement ! Elle a déjà conduit ses bêtes à Manosque, l’Isle-sur-la-Sorgue ou autour d’Avignon. Une activité qui s’étend de février à juin. Et en ce début d’année, sur les berges du Calavon.

les brebis sur les bords du Calavon

Au sortir de l’hiver, les brebis sont heureuses au pâturage – ©JB

Le self des brebis

Sur les bords de cet affluent de la Durance, depuis une quinzaine de jours, Manon propose à ses 170 brebis (venues de Gap), de brouter les vieilles herbes, sur une vingtaine d’hectares. En début de saison, elles ne sont pas trop difficiles et « elles mangent ce qu’il y a, sourit la bergère. Mais ce sont elles qui déterminent quand c’est terminé. Quand elles courent partout et ne veulent plus manger… on s’en va ! ».

Un site naturel sensible

Tout a commencé par une rencontre entre la bergère et les collectivités en charge des Espaces Naturels Sensibles. C’est-à-dire le Conseil départemental du Vaucluse, et le Parc naturel régional du Luberon, (pour ceux qui sont dans son périmètre). Des espaces qu’un danger guette : celui de l’embroussaillement naturel. S’en suit le plus souvent l’invasion d’espèces végétales exotiques, et une perte de la biodiversité.

les rives du Calavon

Les rives sableuses du Calavon s’embroussaillent naturellement – ©JB

Pour éviter le débroussaillage mécanique, polluant, coûteux et parfois destructeur, rien de plus naturel qu’un troupeau de brebis. L’opération est une première sur cet espace constitué de cinq sites, sur les communes de Goult et Oppède, entre Monts de Vaucluse et Luberon.

Gagnant-gagnant

« Cette expérimentation est intéressante, analyse Manon Lefebvre. Les parcelles sont en continu, le long d’une petite route, on peut déplacer le troupeau à pied. Et puis il y a un intérêt scientifique. On va pouvoir mesurer l’effet de cet éco-pâturage sur les plantes et les herbes… »

Le Calavon abrite le Pélobate cultripède

Le Pelobate cultripède est l’une des richesses des zones humides du Calavon-©PNRL – J.BRICHARD

Pour Jérôme Brichard, chargé de mission Zones humides et Natura 2000 au Parc, « le plus important, c’est l’ouverture du milieu. Ici cela n’a jamais été fait. Sans cela, les espèces vont disparaître. »

Protéger la biodiversité

Car sur ces zones humides classées Natura 2000, pousse la « Bassie à fleurs laineuses ». Cette plante classée vulnérable au plan national est protégée dans la région. Autre espèce protégée, le «Pélobate cultripède ». Ce crapaud, que l’on ne trouve pratiquement qu’ici, sur les berges du Calavon,  est classé en danger majeur au plan régional.

La Bassie à fleurs laineuses sur les rives du Calavon

la Bassie à fleurs laineuses est protégée-©H. Signoret

Au-delà de ces deux espèces, les rives du Calavon représentent un milieu particulièrement riche. De nombreux animaux y trouvent refuge, sédentaires ou migrateurs. Elles jouent également un rôle important dans le cycle de l’eau (épuration naturelle, recharge des nappes, écrêtage des crues…).

Economie et écologie

Dominique Santoni, présidente du Parc du Luberon et conseillère départementale ne voit dans cette opération que des avantages. « Cette action a  un impact économique, avec  le projet local de développement durable de la bergère. Mais en plus, on est dans le beau, le silencieux, l’apaisement… Et dans le bien-être animal ! Et puis il y a un aspect éducatif, avec un projet pédagogique pour les écoles de Goult, notamment ».

Dominique Santoni, présidente du PNR Luberon, Conseillère départementale, Manon Lefebvre bergère et Jérôme Brichard, chargé du mission au Parc -©JB

L’éco-pâturage est une expérimentation. Les agents du Parc assureront un suivi des espèces en danger. Et en fonction des résultats, elle sera reconduite l’an prochain.

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Pour aller plus loin
Le Calavon et ses rives sableuses

L’Espace Naturel Sensible du Calavon ©JB

L’éco-pâturage sur les rives du Calavon

Les Zones humides du Calavon regroupent 5 sites, situés le long du Calavon sur les communes de Goult et d’Oppède. Le Plan, la Virginière, la Béduge, Ponty et les Tours. La surface totale de cet ENS, intégré au réseau en 2020  est de 80 ha. Le départemental du Vaucluse finance pour 2/3 et le PNR pour 1/3 les 7000€ de budget de l’opération.

Les Espaces Naturels Sensibles

Le département du Vaucluse en compte 22. Ils couvrent 2000 hectares. Comme leur nom l’indique, ces sites sont particulièrement intéressants pour leur faune et leur flore. Mais ils sont aussi particulièrement fragiles. Et méritent donc attention et protection.

Manon au bord du Calavon

Manon Lefebvre a créé « le troupeau d’Elzéard » -©JB

Le troupeau d’Elzéard

C’est le nom de l’entreprise de Manon Lefebvre. Elle assure auprès de collectivités et d’entreprises l’entretien écologique de leurs espaces. Une manière innovante, naturelle  et pédagogique de protéger, d’embellir et de conserver des sites. 
En plus du pâturage par les bêtes, Manon propose de planter ou entretenir  des arbres fruitiers anciens. D’où le nom de la structure, on se souvient qu’Elzéard est le personnage du roman de Giono, « L’homme qui plantait des arbres. » La jeune bretonne fait ainsi revivre « la tradition provençale, un berger, des arbres… et l’envie de partager ». 
La bergère utilise des animaux prêtés par des éleveurs partenaires pendant un temps donné (ovins, bovins ou caprins). Les déplacements se font à pied, à chaque fois que cela est possible.