La Durance est l’arme maîtresse de la production électrique et de l’alimentation en eau de la Région Sud. Richesse partagée par de multiples usagers, son cours transformé, comme les rejets et gaspillages, exigent des rééquilibrages à l’heure où la ressource diminue.

Il suffit de regarder une carte pour s’en convaincre : la Durance est le chainon principal du bassin hydraulique provençal. A partir de Serre Ponçon, l’eau transite en partie par le canal usinier EDF pour être turbinée dans 13 barrages. La chaîne hydroélectrique Durance-Verdon est ainsi l’un des équipements majeurs de la production hydraulique en France. Problème, plus de 1 000 millions de m3 sont encore rejetés chaque année dans l’Etang de Berre, après être passés dans l’ultime centrale EDF, celle de Saint-Chamas. Le 30 avril, lors d’un rassemblement devant cette centrale, l’association Etang Nouveau voulait une nouvelle fois alerter sur les dangers de ces rejets mais aussi présenter sa vision pour une Durance plus vertueuse.

Etang Nouveau – Jean Luc Platon et René Benedetto Crédit Patricia Carrier (Image de Une : le village de Mallemort sur la Durance. Crédit Philippe Bourget)

Une association qui se bat depuis 1988

René Benedetto, président de l’Association, a un avis tranché sur le sujet. Pour lui, au-delà de cesser les rejets dans l’étang pour lui rendre sa réalité marine, la Durance doit retrouver sa vocation première : recharger les nappes phréatiques et alimenter en eau l’agriculture en Crau et en Basse Durance. A ses yeux, le détournement « d’un des trois fléaux de la Provence » (selon un proverbe du 16ème siècle, telle était considérée la Durance en raison de ses inondations) a des conséquences désastreuses. La première est la baisse drastique de son débit. Sur tout son parcours, le diagramme présentant son débit naturel et actuel est sans appel. L’association Etang Nouveau parle de « squelette ».

Un gaspillage d’eau insupportable

Pour elle, le plus gros problème est que l’eau rejetée dans l’étang de Berre est gaspillée, purement et simplement. Même si depuis 2007, les rejets ont été réduits et que des quantités importantes sont restituées à la Durance par le déversoir de Mallemort, cette eau non turbinée pourrait permettre d’alimenter en continu les canaux d’irrigation et recharger les nappes phréatiques des territoires qu’elle alimente. Depuis 1966, ces canaux chôment d’octobre à mars au lieu de trois semaines seulement à leur création.

 

Etre agriculteur en Crau aujourd’hui

Agriculteur en Crau, André Faure témoigne de l’utilité de récupérer plus d’eau. « Grâce à l’irrigation, la production de foin en Crau permet d’alimenter la nappe phréatique pendant l’été. C’est même la période où elle est la plus haute ! 80% de l’arrosage est en effet restitué à la nappe. Donc moins d’eau signifie devoir limiter le nombre d’arrosages dans mes prairies ou diminuer les surfaces irriguées. De fait, ma production de foin sera inférieure ». Le risque encouru de la baisse d’alimentation de cette nappe est aussi une remontée de la nappe salée et une salinisation progressive de cette réserve d’eau qui alimente plus de 300.000 personnes.

Une filiole, petit canal d’irrigation © F. Trolard

Ne pas renoncer à la vocation hydro-électrique du bassin Durance-Verdon

Au sein d’Etang Nouveau, on ne remet pas en cause la production d’électricité. Mais on prône plutôt de transformer le système actuel de la chaîne hydroélectrique dit « en escalier », en « Station de Transfert de l’Energie par Pompage » (STEP). En clair, il s’agit de renvoyer en amont de chaque barrage, dans une turbine réversible, l’eau en provenance de la centrale précédente. Le potentiel hydroélectrique de la Durance serait ainsi préservé. Et ce quelles que soient les sécheresses à venir.

STEP by STEP…

Selon l’association, la Mission Interministérielle Durance considérait déjà en 2006 que ce système méritait un examen approfondi. Cela n’a pas été le cas. Mais Jean-Marc Zulesi, député de la circonscription de Salon-de-Provence, très engagé sur le sujet de l’étang de Berre, nous le confirme. « La solution de la STEP mérite effectivement d’être remise sur la table. Sans omettre que cette option nécessite de coordonner l’ensemble de la chaîne Durance-Verdon». La restitution des eaux à la Durance fait également partie de ses projets.

Philippe PICON @SMAVD

Attention aux fausses bonnes idées

Pour le Syndicat Mixte d’Aménagement Vallée de la Durance (SMAVD) et son directeur de la Ressource en Eau, Philippe Picon, on ne peut que souscrire à l’idée de remettre plus d’eau dans la Durance. D’ailleurs EDF a doublé le volume de ses restitutions. En revanche, il faut tenir compte des sédiments. L’équilibre de la rivière provient en effet d’un dosage naturel entre le limon transporté et les galets descendus des Alpes. Réinjecter de l’eau dans la Durance doit donc être réalisé dans les meilleures conditions. L’idée de recharger la nappe phréatique de la Crau est en revanche partagée. Une étude en cours sous la responsabilité de l’Etat étudie les solutions techniquement possibles pour y parvenir.

Réhabiliter la Durance, ce n’est pas lui faire retrouver son état naturel

Pour le SMAVD, il est totalement illusoire de rêver rendre à la Durance son état d’origine. Le contexte des années 1960 et les besoins en graviers comme en irrigation ont conduit à des modèles d’exploitation qu’il s’agit aujourd’hui d’assumer. Son artificialisation est définitive. Mais les enjeux actuels sont d’agir tout à la fois sur les risques de pollution et d’inondation, la reconstitution de sa morphologie et la régénération de la biodiversité de ce milieu aquatique très riche. Les lourds dégâts générés par les crues de 1994 ont permis au SMAVD de lancer un important travail de restauration et de préservation du fonctionnement de la Durance. Les actions menées ont permis en 30 ans de retrouver 30% des tresses* qui font la spécificité de la rivière.

Les tresses de la Durance @SMAVD

Nouvelles vigies en Durance

Afin de donner à l’ensemble des usagers de la Durance une meilleure visibilité des mesures engagées, le SMAVD a développé deux outils. « Vigie Durance-Verdon », en œuvre depuis 2022, permet d’assurer une surveillance sècheresse, de suivre en temps réel l’évolution de la ressource et de prévoir le risque de pénurie d’eau afin de faciliter la prise de décision. C3PO, lancé en partenariat avec Météo France et intégrant les perspectives du GIEC sur l’évolution du climat, permet d’anticiper les volumes d’eau disponibles pour les usages multiples de la Durance. Bref, si la rivière ne peut redevenir ce qu’elle était avant les aménagements des années 1960, au moins est-elle mieux respectée et challengée par des acteurs qui œuvrent en faveur d’une réhabilitation intelligente.

* Tresses : un cours d’eau en tresses présente de nombreux chenaux, formant des divisions ou connexions entre ces bras. Ces rivières constituent de véritables infrastructures naturelles, des usines auto‐épuratoires à grande échelle et des espaces à forte biodiversité. En lien avec la diversité des milieux terrestres et aquatiques qu’elles produisent, elles sont utilisées comme des références pour le bon état écologique des rivières. Ce type de rivière est une particularité du bassin Rhône‐Méditerranée (transport de solides).