Solène Espitalié a fondé Les Jardins de Solène

Permettre à des personnes éloignées de l’emploi d’y accéder, valoriser des fruits et légumes promis à la poubelle et approvisionner la restauration collective avec des produits locaux, frais et de saison… C’est l’équation quasi-parfaite lancée par Solène Espitalié, à Pernes-les-Fontaines (84). Bleu Tomate l’a rencontrée.

Le fondement de ses convictions, c’est au Kenya qu’elle l’a trouvé. En stage durant son cursus d’ingénieure en agriculture, elle y découvre « des gens incroyables avec de super belles valeurs. La solidarité, l’économie circulaire c’est évident pour eux. Quand ta survie dépend de ton écosystème, tu en prends soin… » constate la fondatrice des Jardins de Solène.

Après diverses expériences professionnelles en lien avec l’emploi dans le monde agricole, elle découvre « La Main Verte« , une structure* qui forme et embauche des personnes handicapées. Ces salariés réalisent ensuite des prestations pour les agriculteurs. Séduite par le modèle, Solène Espitalié crée Solid’Agri avec comme partenaires la MSA 84, les Jeunes Agriculteurs, la MDPH (Maison Départementale des Personnes Handicapées) et le CFPPA (Centre de Formation Professionnelle et de Promotion Agricole) de Carpentras.

Solid’Agri pour l’emploi

L’association embauche 6 personnes. Mais l’équilibre est fragile face aux bas coûts de la main-d’œuvre étrangère, à la saisonnalité des périodes de travail ou même aux intempéries. Une diversification des activités serait la bienvenue. Solène va la trouver chez les agriculteurs, quand elle constate les volumes de fruits et légumes invendus parce qu’hors calibre ou imparfaits. Ils sont dits déclassés et promis à la benne à ordures, bien que d’excellente qualité.

dans les locaux des Jardins de Solène

Problème de taille ou de forme, ces légumes étaient déclassés @JB Photo de Une : Solène Espitalié, fondatrice des Jardins de Solène @WAD

« Ca m’a fait tilt ! se souvient Solène. Ces produits ne sont pas pourris, mais trop gros ou trop petits, je me suis dit qu’il fallait leur trouver des débouchés, et je suis allée voir les responsables de la restauration collective. Très peu se fournissaient localement. C’est forcément plus compliqué, il y a les questions de quantité, et puis surtout de préparation, ils n’ont ni le temps ni le personnel pour ça ».

Les Jardins de Solène voient plus grand

L’idée des Jardins de Solène était née ! Après levées de fond, tirages de sonnettes, prix récoltés ici et là auprès de différentes fondations, et beaucoup d’investissement personnel et de travail… La petite SAS de l’Economie Sociale et Solidaire voit le jour !

En 2017, construction de l’unité de transformation. Epluchage, lavage, découpe et mise en sachets sous vide… Sans aucune adjonction de produits, les fruits et légumes sont frais et se conservent une semaine.

la machine fait le vide

Dans les ateliers des Jardins de Solène, la machine assure la mise sous vide @Les Jardins de Solène

D’emblée, Solène rafle le marché des légumes de 4e catégorie (carottes, courgettes, courges…) auprès de la mairie d’Avignon, en pleine « re-municipalisation » de sa restauration collective -parfois la chance sourit !-. D’autres suivront, comme les hôpitaux d’Avignon et d’Orange.

Sur la voie de l’autonomie alimentaire

La crise du COVID vient bousculer la jeune entreprise (tout en braquant les projecteurs sur la pertinence de l’autonomie alimentaire, les risques de pénurie et la précarité). Malgré tout, elle sort de la crise toujours vivante, sans un seul licenciement.

En 2022, les Jardins de Solène proposent deux activités, les prestations agricoles (plantation en maraîchage, taille de la vigne, effeuillage des tomates…) et la transformation des fruits et légumes. L’entreprise emploie 11 salariés (bientôt 12), dont 8 en situation de handicap ou de précarité. L’an dernier, elle a valorisé 75 Tonnes de fruits et légumes qui ont servi à confectionner 620 000 repas frais, locaux et de saison. En un an, le chiffre d’affaire a progressé de 150%.

l'équipe des Jardins de Solène

L’équipe de collaborateurs de Solène @Les Jardins de Solène

Emploi, solidarité, déchets…

Jamais à court d’idées en matière de solidarité, la responsable des Jardins de Solène a fourni près de 8 Tonnes de fruits et légumes frais aux structures d’aide alimentaire à Avignon et dans le département, grâce à des partenariats avec les collectivités locales.

Autre initiative, le zéro déchet. Epluchures et bouts de légumes ne sont plus jetés mais offerts à une entreprise d’entretien de jardins voisine, qui les transforme en compost… Toujours l’économie circulaire !

sachet de légumes sous vide

Les légumes pour la ratatouille, présentés à la façon tranche napolitaine @JB

Et pour aller toujours plus loin dans sa démarche, Solène a commencé à passer des partenariats avec des agriculteurs pour leur garantir à l’avance l’achat d’un certain volume, contre un prix fixe. Elle sécurise ainsi ses matières premières (car la restauration nécessite de gros volumes) et l’agriculteur vend à l’avance une partie de sa future production. Un peu comme dans une AMAP, mais à échelle plus industrielle.

Un parcours pas toujours facile

Pour autant, nouveaux contrats (toujours longs à finaliser) et investissements (notamment dans l’automatisation de l’ensachage) sont nécessaires. Et les difficultés ne manquent pas, du fait d’un modèle original, dépendant à la fois de la saisonnalité et de la lourdeur de certaines structures et procédures. Mais pas de quoi rebuter la jeune chef d’entreprise.

« Mon bonheur, c’est de voir mon équipe, cette maturité, cette fierté », souligne Solène, qui s’attache à former et promouvoir son personnel. Aujourd’hui d’eux sont chefs d’équipe. « Et puis travailler avec les hôpitaux et les maisons de retraite, c’est quand même primordial de bien nourrir les personnes malades et fragiles ! ».

A Pernes, les Jardins de Solène

Devant les locaux, Solène la responsable de l’entreprise et Thibault, chef d’équipe @JB

Pas à pas, Solène Espitalié ajoute sa petite pierre sur le chemin de l’autonomie alimentaire et de la création d’emplois non délocalisables. « La clé, confie-t-elle, c’est de recréer des écosystèmes alimentaires locaux et inclusifs, à petite échelle, afin qu’ils essaiment… » Penser global, agir local reste sa devise.

*La Main Verte fondée par Pierre Hoerter dans le Bas-Rhin propose à des agriculteurs donneurs d’ouvrages de la région, la réalisation de travaux agricoles en prestation. Formés et diplômés en partenariat avec l’Education Nationale, les salariés réalisent tous types d’ouvrage en lien avec les métiers de la terre. Transférable, l’initiative mise en œuvre avec le concours de la Mutualité Sociale Agricole d’Alsace (MSA) et l’Adapei du Bas-Rhin, a donné lieu à la création du concept d’entreprise apprenante.