Le prix Nord-Sud du Conseil de l’Europe a été remis le 9 décembre à Lisbonne. A l’honneur, deux chercheurs de notre région : Joël Guiot et Wolfgang Cramer. Coordinateurs du réseau d’experts du changement climatique et environnemental en région méditerranéenne (MedECC), fondé en Provence, ils sont à l’initiative du premier rapport d’évaluation sur la Méditerranée. Discussion avec Wolfgang Cramer autour de cette étude inédite.

Bleu Tomate (BT) : Comment est né le MedECC ?

Wolfgang Cramer (WC) : Le MedECC est né à l’occasion de la COP 21, en 2015. Nous étions deux à l’époque : Joël Guiot et moi-même. Lorsque le projet a été lancé, nous avons beaucoup communiqué, de sorte que peu à peu les politiques se sont intéressés à nous. Nous avons eu des propositions de soutien de la Convention de Barcelone, du Plan Bleu et de l’Union pour la Méditerranée, nos partenaires aujourd’hui.

BT : Qui est derrière le MedECC ?

WC : Nous étions au départ deux coordinateurs. Aujourd’hui nous avons une troisième associée : Fatima Driouech (Université Mohammed VI Polytechnique, Maroc) et une équipe stable de 12 à 13 personnes. Autour de ce noyau, des chercheurs contribuent aux évaluations scientifiques à titre personnel. Pour notre premier rapport, le MAR1, nous étions presque 200 scientifiques provenant de 25 pays du bassin méditerranéen.

BT : Quelle est l’originalité de vos études vis-à-vis des nombreux rapports qui sont publiés ?

WC : Son originalité tient en deux points. Tout d’abord, nos recherches portent sur l’ensemble du bassin méditerranéen, et sont réalisées par un réseau de chercheurs des pays de ce même territoire. Ce n’est pas fréquent : les études sont souvent des projets européens qui portent sur la partie européenne du bassin. Ensuite, nous avons regardé ensemble le climat, la biodiversité, la terre, la mer, l’alimentation, la pollution, quand le GIEC se concentre sur le climat ou l’IMBE sur la biodiversité ou la pollution.

BT : Pouvez-vous nous présenter les principales conclusions de votre rapport ?

WC : Nous avons constaté trois grands enjeux. Le premier est l’augmentation de la sécheresse, dans le sud comme dans le nord du bassin méditerranéen. La canicule est un événement mortel de plus en plus fréquent. Enfin, la hausse du niveau des mers est insuffisamment prise en compte. Le GIEC parle d’une augmentation de 40 à 80 cm. Nous en sommes déjà à + 4mm chaque année. A la fin du siècle, la montée des eaux pourrait être de 2 à 3 m. Je dis bien « pourrait ». Dans deux siècles, ça nous semble lointain mais ça concernera les enfants de nos enfants, même si tout va bien, même si la température est stabilisée, la hausse va continuer.

BT : Que faire alors ?

WC : Nous n’apportons pas de solutions, nous estimons que notre tâche en tant que scientifiques est de constater, quantifier puis informer. C’est ensuite aux décideurs de proposer des solutions. Nous avons tout de même dédié une partie du rapport à présenter des exemples de bonnes pratiques. Je peux citer l’agroécologie, un système agricole plus résilient.

J’ajouterai simplement que nous avons voulu mettre l’accent sur la nécessité de réduire les gaz à effet de serre. C’est le cœur du message.

BT : Qui est la cible de ce rapport ? Les décideurs ?

WC : Les décideurs, mais aussi le grand public. Les citoyens lors des élections, dans les systèmes démocratiques, choisissent leurs décideurs. Ils ont aussi un rôle à jouer.

BT : Que représente le prix Nord-Sud pour vous ?

WC : Ça a été une vraie surprise. Notre partenaire Union pour la Méditerranée a proposé notre projet sans nous en parler. Un jour ils nous ont appelés pour nous annoncer que nous avions été retenus ! Ce qui nous touche dans cette nomination, c’est d’avoir obtenu la reconnaissance d’un centre qui travaille pour la démocratie et les droits humains. Ils ont considéré que notre approche et notre engagement correspondaient à leurs objectifs. Nous avons cherché une meilleure relation entre le Nord et le Sud tant dans notre collaboration scientifique que dans notre volonté d’informer les décideurs.

BT : Quelle est la suite pour le MedECC ?

WC : Nous sommes déjà sur trois rapports spéciaux. Ils approfondissent des thèmes déjà abordés dans le grand rapport : le littoral, les connexions entre alimentation/énergie/eau et la relation conflit/migration/risques environnementaux. Nous devrions les publier d’ici un à deux ans.

Pour en savoir plus

La vidéo de présentation du rapport : https://www.youtube.com/watch?v=IaxUsxyRzjY&t=156s

Le rapport complet ou ses synthèses : https://www.medecc.org/first-mediterranean-assessment-report-mar1/

Les chercheurs :

Tous deux travaillent à Aix-en-Provence. Wolfgang Cramer est géographe, écologue et directeur de recherches (CNRS) à l’Institut Méditerranéen de Biodiversité et d’Ecologie Marine et Continentale (IMBE), dont le siège est à Marseille. Joël Guiot, lui, est directeur de recherche CNRS au Centre Européen de Recherche et d’Enseignement en Géosciences de l’Environnement (CEREGE), à la Technopôle de l’Arbois (Aix-en-Provence).

MedECC :

Il y a six ans, Wolfgang Cramer et Joël Guiot se sont associés pour créer le MedECC : un réseau de coopération Nord-Sud qui œuvre pour la diffusion des connaissances scientifiques sur le changement climatique en Méditerranée. En 2020, le premier rapport d’évaluation sur la Méditerranée (MAR1) intitulé « Changement climatique et environnemental dans le bassin méditerranéen – Situation actuelle et risques pour le futur » est publié et sélectionné pour le prix Nord-Sud du Conseil de l’Europe.

Prix Nord-Sud :

Ce prix est attribué tous les ans depuis 1995 par le Conseil de l’Europe à deux personnes ou organisations qui se distinguent par leur engagement pour la solidarité Nord-Sud, pour les droits de l’homme ou pour la démocratie. Le jury a mis en avant l’exemplarité du MedECC dans sa coopération entre pays du Nord et du Sud en Méditerranée pour faire face aux défis mondiaux communs.