Pierre sèche, terre, bois, liège, paille… la liste est longue des matériaux locaux valorisables pour l’écoconstruction. A Arles, l’Atelier LUMA travaille depuis 2016 à la conversion de résidus de riz et de tournesol de Camargue en panneaux d’isolation. Une micro filière locale pourrait en découler.

En 2018, nous avions visité l’Atelier LUMA. Ce laboratoire de recherche et de design de LUMA Arles, campus culturel et techno dont le totem est la tour futuriste de Franck Gehry, a depuis avancé sur la conversion de déchets agricoles locaux en matériaux d’écoconstruction. Sur le point de déménager dans un autre hangar, il vient de transformer l’essai de ses travaux de R&D en posant des panneaux d’isolation phonique à base de résidus de tournesol et riz dans ses nouveaux locaux, ainsi que dans un bar de la tour.

Tiges, têtes et tourteaux de tournesol

« Le tournesol en Provence représente une production significative. En Camargue, elle est intégrée dans la rotation des cultures pour lutter contre la salinité des sols », explique Henna Burney, chargée de projets et « designer produits » à l’Atelier LUMA. Sauf que la récolte mécanisée des graines, en septembre et octobre, laisse à terre, inutilisées, les tiges et les têtes de tournesol. De même que les tourteaux, résidus de l’extraction de l’huile effectuée en coopérative.

Récolte du tournesol en Provence. Les têtes et les tiges peuvent être valorisées. Crédit Picon/Atelier LUMA (Photo de Une : l’Atelier, une ruche expérimentale. Crédit Victor Picon/Atelier LUMA).

Colles et bioplastiques

« Nous avons toujours pensé qu’il existait une valeur ajoutée à réutiliser ces déchets. Les tourteaux sont riches en protéines. Ils peuvent être transformés en colles et en bioplastiques. Les tiges et leur moelle, agglomérées en panneaux, affichent quant à elles des coefficients acoustiques très intéressants. Elles sont particulièrement adaptées aux bâtiments publics car elles présentent une forte résistance aux flammes », poursuit la jeune chercheuse.

Tests dans la tour Gehry

Des panneaux prototypes ont donc été posés dans le futur hangar de l’Atelier. D’autres, plus fins et avec un meilleur confort acoustique, habillent le Drum Café, espace de restauration de la tour Gehry. Reste que la production de tournesol en région n’est pas immense. Et si l’oléagineux peut créer de la valeur ajoutée pour les producteurs qui vendent les déchets, ceux-ci ne peuvent être utilisés que dans le cadre d’une valorisation locale. « On peut imaginer que des machines fabriquent demain des panneaux à base de tournesol. Mais les spécialistes capables de les produire sont pour l’essentiel des fabricants de particules bois du nord de la France. Les passerelles ne sont pas évidentes », tempère Henna Burney.

Prototypes d’isolants en moelle de tournesol réalisés par l’Atelier LUMA. Crédit Adrian Deweerdt/Atelier LUMA.

Panneaux isolants en paille de riz

Autre culture emblématique de Camargue : le riz. C’est ce produit que travaille Mathieu Ménard, prototypiste à l’Atelier LUMA. « On estime entre 40 000 et 60 000 le nombre de tonnes de paille de riz issues de la récolte de la céréale. Par tradition, les producteurs ont recours à l’écobuage pour s’en débarrasser. C’est une catastrophe écologique, à cause du rejet dans l’atmosphère de CO² », dit-il. D’où l’idée de la valoriser en la transformant également en panneaux d’isolation phonique, la matière s’y prêtant amplement. « Nous avons fait produire de façon artisanale 650 panneaux par une association d’insertion de Cavaillon, Le Village. Ils ont été posés sur les murs et le plafond de notre nouvel atelier ». La paille de riz, comme d’ailleurs la balle (l’enveloppe du grain de riz), ont aussi des vertus en matière d’isolation thermique. Et même d’esthétisme. « Nous avons développé un panneau biolaminé en paille de riz, plus fin, pour être utilisé en décoration », souligne Mathieu Ménard.

Panneau de paille de riz compressée. Crédit Adrian Deweerdt/LUMA

Economie circulaire

Tout ceci reste encore expérimental. Aucune filière n’est pour l’heure structurée. L’Atelier LUMA travaille avec une petite poignée de riziculteurs et de producteurs de tournesol partenaires pour son approvisionnement en matière première. Les débouchés semblent pourtant réels. « L’entreprise qui a posé nos panneaux s’est montrée très intéressée par leur qualité. Elle pourrait tout à fait en utiliser pour d’autres clients », entrevoit Mathieu Ménard. Produits low tech dotés de bonnes performances acoustiques et thermiques, les résidus de riz et de tournesol cochent en théorie toutes les cases de l’économie vertueuse : gain additionnel pour les producteurs ; parade contre une pollution locale ; transformation et utilisation sur le territoire. La définition même de l’économie circulaire et d’un projet qui fait sens. Reste à passer du stade test à l’application à moyenne échelle, saut qualitatif encore à imaginer.

Explications sur les vertus du tournesol, lors d’une présentation à la presse à l’Atelier LUMA, en 2018. Crédit Philippe Bourget.

Pour en savoir plus

Atelier Luma, design responsable

L’Atelier LUMA est un laboratoire de recherche appliquée de LUMA Arles, associant un large réseau de designers, artistes, ingénieurs, agriculteurs, biologistes… Implanté dans le Parc des Ateliers, il travaille à des scénarios de transformation des cultures de consommation et de production afin de répondre aux enjeux de la transition. Il valorise notamment les produits locaux agricoles ou ses dérivés (riz, salins, élevage de moutons..) pour imaginer des usages nouveaux (écoconstuction…).

Une équipe pluridisciplianire au service de la transition. Crédit Philippe Bourget.

Un de ses objectifs est de développer des méthodes de recherche territorialisées en travaillant en collaboration avec les industries et artisans locaux, pour des projets nécessitant de la production. LUMA Arles est un campus porté et financé par la Fondation LUMA, institution de soutien à la création artistique créée en 2004 à Zurich par Maja Hoffmann, mécène et collectionneuse d’art, héritière du laboratoire pharmaceutique Hoffmann-La Roche.

Le liège, nouvelle filière pour demain ?

La relance de la  production de liège dans le Var ces dernières années s’accompagne d’une réflexion sur son usage en écoconstruction. « Il existe deux petits transformateurs dans le département qui font déjà du broyé. Ce liège est vendu en vrac et est utilisé pour isoler des combles ou des planchers, entre les étages. Il n’y a pas aujourd’hui de transformation locale en vue de faire des panneaux isolants mais c’est une piste pour l’avenir », témoigne Chloé Monta, ingénieur forestier et animatrice de l’ASL Suberaie Varoise, l’association qui fédère des propriétaires et gère 10 000 ha de chênes-lièges. Avec 300 à 400 t chaque année, la production est encore très faible et la transformation ne peut être envisagée que dans une logique locale.