Président du Pays du Grand Briançonnais, réunion de trois collectivités des Hautes-Alpes, Pierre Leroy est un militant écologiste de la première heure. L’ex-maire de Puy-Saint-André a initié maints projets de transition et vient de publier « Passage délicat », un livre-témoignage. Echanges sur un parcours.
Bleu Tomate (BT) : Qu’avez-vous voulu raconter à travers ce livre ?
Pierre Leroy (PR) : C’est à la fois un parcours et un récit sur la manière dont une personne s’engage dans la transition écologique. Je voulais que ce livre soit un outil pour les citoyens et les élus, qu’il serve de levier d’actions pour d’autres. Il y a une partie historique, une autre autobiographique. J’explique notamment que la transition écologique ne pourra se faire que si on travaille notre imaginaire.
BT : Puy-Saint-André a servi de laboratoire à votre engagement en faveur de la transition écologique. Quelles actions avez-vous menées à bien ?
PR : Grâce aux panneaux solaires installés sur la commune, nous produisons désormais deux fois l’énergie que nous consommons. La révision du PLU nous a permis de réduire les zones constructibles. Nous avons aussi réhabilité des canaux d’irrigation qui alimentent des citernes utilisées pour l’arrosage des jardins. La commune consomme beaucoup moins d’eau issue du réseau potable. Au niveau de la Communauté de Communes du Briançonnais, nous avons expliqué aux entreprises et aux citoyens comment réduire leur production de déchets : le tonnage d’ordures ménagères résiduelles, celles qui sont normalement incinérées, a baissé de 45%, passant de 12 200 t à 6 900 t.
BT : Des méthodes particulières vous ont-elles permis d’atteindre ces résultats ?
PR : Ne pas faire de politique ! Et expliquer, sans relâche, en multipliant les réunions. J’ai longtemps été membre d’EELV mais je n’en fait plus partie depuis sept ans, même si le contenu de leur programme me convient toujours. Quand vous êtes étiqueté, vous pouvez difficilement fédérer. En étant non inscrit, mon objectif est de casser les clivages et de pouvoir faire mieux travailler ensemble des gens de tous bords. Car par définition, la transition écologique est transversale.
BT : On imagine que tout n’est pas si simple… Des résistances locales ralentissent-elles votre démarche ?
PR : Bien sûr, et il faut parfois lâcher prise sur certains sujets, tout en gardant une détermination sur la durée. La première fois que nous avons voulu diminuer l’éclairage public dans la commune, nous n’y sommes pas parvenus. C’est chose faite aujourd’hui. Nous avons connu des échecs mais ils ont été temporaires. A partir du moment où vous êtes dans le bon axe, il vient un temps où les choses se font. Le plus difficile est de devoir travailler sur la durée, alors qu’en matière de transition écologique, le temps est compté. Il existe des résistances, c’est compliqué avec les agriculteurs, la filière bois, les entreprises… L’ambiance est parfois démobilisatrice et les clivages sont partout. Je sublime ma colère par l’action et j’essaye de ne pas valoriser ce qui nous divise mais plutôt ce qui nous rapproche.
BT : Le réchauffement climatique est une réalité incontestée. Comment se mesure-t-il dans votre territoire de montagne ?
PR : Le berger de Puy-Saint-André n’a plus d’eau. On remonte certains télésièges de Serre-Chevalier de 500 m, faute de neige. Au Pas de l’Ours, dans le Queyras, les glissements de terrain se multiplient. Des espèces arborées dépérissent. Les vétérinaires voient apparaitre de nouvelles pathologies… La crise climatique nous frappe de plein fouet, partout on perd de la biodiversité, mais on ne se rend pas encore assez compte des dégâts.
BT : Les solutions sont-elles citoyennes ou étatiques ?
PR : Quand je dédicace mon livre, toutes les générations sont là. Plein de gens sont prêts à changer de pratiques et je leur dit, « c’est possible ! ». Voyez ce que nous avons fait, voyez les exemples d’autres territoires, Mouans-Sartoux, Loos-en-Gohelle, Trémargat… Le grand chantier désormais, c’est l’autonomie alimentaire, dans le cadre du PETR porté par le Pays du Grand Briançonnais. Cela touche tous les sujets, l’agriculture, l’énergie, les transports… En France, nous savons faire. En zone rurale, nous avons toutes les solutions pour réaliser la transition écologique. Par définition, c’est un ensemble de petits projets. Mais les décisions gouvernementales ne vont pas dans le bon sens. Serres maraîchères à Puy-Saint-André. Crésdit PL/Puy-Saint-André.
BT : Que leur reprochez-vous ?
PR : Le gouvernement veut du bottom up [approche qui part du terrain pour aller vers l’ensemble, ndlr] mais on ne peut le construire qu’avec des citoyens, grâce à de l’animation territoriale. Sauf qu’on refuse d’investir sur l’humain, comme si c’était une tare ! Il y a plein de jeunes ingénieurs prêts à venir sur le terrain pour s’engager dans la transition écologique. Le déploiement nécessaire ne se fait pas, on est très loin de la massification nécessaire. Ca me rend dingue et je l’ai dit à Barbara Pompili [ministre de la transition écologique]. A l’inverse, au niveau européen, le programme Leader nous oblige à utiliser 25% de l’enveloppe des fonds à de l’animation territoriale.
BT : On imagine que vous avez regardé avec attention ce qui s’est passé à la COP 26…
PR : C’est du même ordre, on ne prend pas la mesure. A la COP 26, on fait de la communication, on recule. C’est un vrai problème. 80% des solutions, c’est l’Etat et l’Europe qui les détiennent. Il y a urgence à prendre des décisions.
Pour en savoir plus…
- Maire durant deux mandats de Puy-Saint-André, Pierre Leroy est aujourd’hui 2ème adjoint. Il est conseiller délégué à la mobilité et à la transition écologique de la communauté de communes du Briançonnais et président du Pays du Grand Briançonnais, regroupement de trois collectivités : les communautés de communes du Briançonnais, du Guillestrois et du Queyras, et du Pays des Ecrins. Ce territoire rassemble 36 000 habitants sur 36 communes, soit le tiers du département des Hautes-Alpes.
- « Passage Délicat » est publié chez Actes Sud, dans la collection Domaine du Possible. 2021. 21 €.