« Nature » et « savoir-faire », peu denses ni pollués, les Hautes-Alpes et les Alpes-de-Haute-Provence misent sur ce tourisme pour séduire les visiteurs. A l’orée de l’été, les offres se multiplient, encouragées par les institutions qui tentent de les structurer pour les rendre plus lisibles.

Le produit a rencontré un tel succès l’an passé qu’il sera renouvelé cet été, complété d’une offre d’hébergement. A Allos, village de montagne des Alpes-de-Haute-Provence, les rencontres organisées entre estivants et bergers lors de balades en alpage avec les troupeaux ont fait un tabac. « On a eu de très bons retours du partage d’expérience avec les bergers. Les gens veulent être près des moutons, comprendre le rôle du gardien de troupeau et des chiens. Le berger fait aussi découvrir la faune et la flore, il est heureux de partager son travail », explique Elisabeth Berruer, directrice de l’office de tourisme du Val d’Allos.

Nuit en montagne auprès des bergers

Alors cet été, les clients devraient pouvoir passer une nuit en montagne auprès d’eux, « sous tente ou au refuge du col d’Allos. Cela permettra de proposer aussi une découverte du ciel étoilé, puisque nous sommes dans un territoire RICE », se réjouit la directrice. Une immersion dans la vie pastorale doublée d’une initiation au cosmos, ici dépourvu de toute pollution lumineuse.

Partager un moment avec les berges et leurs troupeaux en alpage, une prestation très appréciée. Crédit Office de Tourisme du Val d’Allos (Photo de Une : Observer la nature, comme ici le « Vélodrome » d’Esclangon – 04 -, c’est se reconnecter avec elle. Crédit AD04 Foehn Photographie)

Sur les chemins des villages disparus…

Dans le Buëch, territoire des Hautes-Alpes, l’ONF a racheté il y a quelques années des maisons de villages abandonnées pour les transformer en refuges, créant dès 1996 une itinérance pédestre entre elles, sous la marque Retrouvance. Ce circuit de 5 nuits/6 jours avait été abandonné mais il vient d’être repris en gestion par l’office de tourisme des Sources du Buëch. Il est proposé à de petits groupes, avec un accompagnateur. « Si nous n’avions pas remarqué que l’on était sur une mouvance écotouristique forte, nous ne l’aurions pas relancé. Il est encore plus adapté à la clientèle aujourd’hui qu’en 1996 », est convaincue Nathalie Aubin, directrice de cet office regroupant 17 communes rurales autour de Veynes et d’Aspres-sur-Buech.

Prise de conscience écologique 

Etre proche de la nature, comprendre les métiers ruraux, découvrir les produits du terroir, participer à la vie locale… Ce qui était parfois jadis rangé au rayon du « tourisme vert » a été boosté par la prise de conscience écologique et la pandémie de Covid-19, accélérateurs d’une demande de séjours centrés sur la nature et les rencontres humaines. L’écotourisme, nouveau nom de cette appétence pour la ruralité et le partage, est devenu un segment de marché.

Chaudun, une ancienne maison transformée en gîte, étape d’une itinérance de 6 jours au coeur du territoire du Buëch. Crédit OT Sources du Buëch – Lisa Simtob.

Hautes-Alpes, 1er département bio de France, un atout pour l’écotourisme

Les deux grands départements alpins de la Région Sud PACA ont compris l’intérêt de jouer sur ce registre. Tout dans leur environnement et leur histoire plaide pour concevoir une offre adaptée à ces nouveaux besoins. Les Hautes-Alpes peuvent faire valoir trois parcs naturels (les Ecrins, le Queyras, les Baronnies Provençales), quantité de réserves naturelles et quasiment pas d’industries polluantes ni d’autoroute. Ils sont en prime le premier département bio de France. « Nous sommes par essence une destination écotouristique », proclame Sophie Rey, responsable de la filière tourisme à l’Agence de Développement (AD) des Hautes-Alpes.

Très nature, les deux départements se prêtent à des randonnées au coeur de grands espaces protégés, par essence écotouristiques. Crédit AD04 Michel Boutin.

Alpes-de-Haute-Provence, la moitié du territoire en zone protégée

Même certitude du côté des Alpes-de-Haute-Provence. « Au carrefour de la Provence, des Alpes et du Verdon, nous avons un terrain de jeu diversifié tourné vers les espaces naturels. Avec près de 50% de notre territoire en zones protégées, l’écotourisme est intrinsèquement dans notre ADN », assure Julien Martellini, directeur de l’Agence de Développement (AD) du département.

Un produit « Road Trip Terroir »

Du potentiel à la structuration de l’offre, il y a toutefois un long chemin, que les deux territoires tentent de baliser. Du côté des Hautes-Alpes, on travaille sur les filières identitaires. La « nature » est logiquement mise en avant, autour de l’alpinisme, l’escalade, les randonnées, les sports d’eaux vives, les loisirs aériens (vol à voile, parapente…), le cyclisme… Le « terroir » est aussi mieux valorisé. L’AD a ainsi créé une offre « Road Trip Terroir », itinérance gourmande de 5 jours, de producteur à producteur. Elle met en valeur les produits ovins, bovins, les fromages, les miels, les produits distillés… « Nous l’avons lancé en 2022 à travers le Dévoluy, le Champsaur, le pays de Sisteron… Ce forfait est vendu par les agences de voyages réceptives du département », explique Sophie Rey. Très alléchant, le produit gagnerait à inclure aussi des propositions d’hébergement.

Canoë dans les gorges de Beaudinard (04), rien que du vert et de l’air ! Crédit AD04 Philippe Murtas.

Festival Terre Sauvage dans la Clarée

Autre filière promue : les festivals ruraux. Début juillet se tient dans la vallée de la Clarée la deuxième édition du Terre Sauvage Festival, que le département a souhaité ardemment accueillir et qu’il soutient tant « il correspond aux valeurs que l’on veut défendre ». La tenue cet été de la seconde édition du Festival Game of Trees, dans la station des Orres, série de conférences-débats autour de la nature, illustre aussi l’intérêt croissant des estivants pour ces questions.

Boulangeries paysannes et circuits courts

Au cœur des territoires, des acteurs locaux « responsables », parfois anciens, voient également leur audience augmenter. Dans le Buëch, c’est le cas de la Ferme du Forest, à Montbrand. Cette boulangerie paysanne, installée de longue date dans le village, connait un regain de fréquentation autour de ses pains et farines biologiques. « Elle produit ses céréales, fabrique son pain deux fois par semaine, élève des animaux. C’est un modèle de circuit court. Nous le valorisons plus qu’auparavant », relève Nathalie Aubin, à l’OT des Sources du Buëch. Même chose pour ce couple d’accompagnateurs en moyenne montagne, qui a aménagé ses gîtes écologiquement et propose des balades accompagnées à dos d’ânes (Les Bayles Abeilles).

Terre Sauvage Festival, « tous les arts sont dans la nature ». Crédit AD05 Marc Daviet.

Ateliers d’artisans

Le constat est identique à Allos. Le travail de l’office de tourisme auprès des acteurs locaux a mis un coup de projecteur sur des artisans et des métiers qui jusque là étaient un peu dans l’ombre. Et ça marche ! « Nous avons un menuisier au village qui ouvre désormais son atelier au public pour des initiations au tournage sur bois. C’est un vrai succès, la fréquentation est très forte », se réjouit Elisabeth Berruer.

Démarche écolabel

Dans les Alpes-de-Haute-Provence, on tente de conjuguer les offres initiées par les institutions avec celles engagées par des opérateurs privés, dans une sorte de gouvernance partagée. Côté offre publique, l’AD promeut La Routo (nouveau GR tracé sur les chemins de la transhumance, entre France et Italie), des circuits de découverte autour du réseau « Bienvenue à la Ferme » ainsi que la « Route des Senteurs et des Saveurs ». Autant de produits estampillés « durables » et « terroir ». « Les touristes recherchent de plus en plus l’authenticité. Nous travaillons aussi des offres de séjours sur les thèmes des savoir-faire et de l’artisanat et communiquons également sur le segment du bien-être et du thermalisme, tout en encourageant les acteurs privés à monter en gamme et à s’inscrire dans la démarche écolabel », éclaire Julien Martellini.

Les randonnées thématiques « Refuges d’Art », une exclusivité des Alpes-de-Haute-Provence. Crédit AD04 Michel Boutin.

Salons spécialisés

Tout ceci passe enfin par de la promotion ciblée. Les salons dont le thème est affinitaire avec l’écotourisme sont privilégiés. Les deux départements sont ainsi présents au Salon International de l’Agriculture. Les Hautes-Alpes tiennent un stand au Salon de l’Escalade et à Destinations Nature. Les Alpes-de-Haute-Provence participent notamment au Salon international du patrimoine culturel. En plein essor, l’écotourisme redonne un coup de jeune à des thématiques de vacances en définitive connues depuis longtemps dans ces deux départements.

Luc Bernard, Herbier du Dévoluy

« Les gens ont un impératif besoin de renouer des liens avec la nature » 

BleuTomate : Vous organisez des stages de cueillette en montagne depuis longtemps. Pourquoi y avoir associé des cours de yoga ?

Cela fait une vingtaine d’années que je partage ma passion pour la nature et le végétal, à travers des stages d’herboristerie pratique. Accompagnateur en montagne, j’invite le public à rencontrer les plantes au cours de randonnées. Je me suis rendu compte des difficultés rencontrées par certains, d’ordre physique, respiratoire ou d’attention. En alternance avec la marche et l’identification des plantes, le yoga et la méditation aiguisent les sens et créent du lien dans le groupe. Cela offre beaucoup d’aisance au public et leur permet une rencontre intime avec le vivant.

Balade cueillette avec Luc Bernard, Crédit Kina Photo.

Quelle nouvelle clientèle cela vous emmène-t-il ?

Elle s’est élargie. Ce ne sont plus seulement des passionnés de plantes mais aussi des personnes souhaitant juste vivre une expérience de reconnexion au vivant en montagne, alliant la découverte du milieu et les pratiques de bien-être en pleine nature. Je reçois ainsi des personnels de santé, des comités d’entreprises, des associations.

Quel regard portez-vous sur l’essor des séjours écotouristiques ? Le Covid a t-il accéléré les choses ?
Le public est de plus en plus sensible à l’environnement, les gens sont respectueux du milieu et conscients de sa fragilité. Ils ont un impératif besoin de renouer des liens avec la nature et sont en demande pour acquérir des connaissances et de l’autonomie. Ils ont envie de mieux connaitre le producteur, ses produits, son environnement. Cela a commence il y 4 ou 5 ans mais ça s’est amplifié après le Covid.