Oubliée pendant près de deux siècles, la culture de la variété Arabica Typica a été réamorcée sur l’île en 2015. Soutenus par le Parc naturel régional, six agriculteurs espèrent tirer un revenu pérenne de ce produit d’excellence… soumis à de nombreux défis agricoles. 

Oublié… puis retrouvé. Il a fallu quatre ans d’efforts au CIRAD (Centre de coopération Internationale en Recherche Agronomique pour le Développement) pour remettre la main sur des pieds-mères certifiés d’Arabica Typica. Quatre années à parcourir les montagnes de la Martinique, au nord, de ferme en ferme, pour essayer d’authentifier ce plant introduit en 1721 par un chevalier normand, Gabriel de Clieu, à la demande de Louis XIV. Jusqu’à ce qu’après avoir analysé 4 000 échantillons de caféiers demeurés à l’état de culture vivrière, l’un d’eux, prélevé chez un vieil agriculteur de 85 ans de Fonds-Saint-Denis, lève le doute. L’Arabica Typica n’était pas mort !

Cerises de café Arabica Typica, au Morne-Rouge. Crédit Philippe Bourget (Photo de Une : José Souraya, à g., et Sébastien Souraya, son petit-fils, producteurs de café au Morne-Rouge. Crédit Ph. B.).

Introduit en 1721… oublié au 19ème s. 

L’arbuste revenait de loin. De 1723 jusqu’au début des années 1800, cette variété a été à la base du succès de la culture caféière en Martinique. L’essor fut si fulgurant qu’au 18ème s., le café était exporté dans toutes les Caraïbes, et même en Amérique centrale et du sud. Las, l’apparition de maladies et la concurrence de la canne à sucre, plus rentable, causa progressivement sa perte. Jusqu’à l’abandon total des cultures commerciales au 19ème s.

Culture de niche

La relance a été initiée par le Parc naturel régional (PNR) de Martinique. Dès 2010, il s’enquiert de retrouver cette variété, en collaboration avec le CIRAD.  Objectif : « développer une culture de niche de qualité, avec un café 100% français. La Martinique est une petite île et ne peut de toute façon pas rivaliser avec les gros producteurs que sont le Brésil ou le Vietnam », témoigne Sonia Hoche-Balustre, directrice du développement durable et de la formation au PNR.

Ferme caféière dans les hauts de Fort-de-France. Crédit Ph. B.

Au pied de la Montagne Pelée 

Six agriculteurs volontaires associés au projet se sont engagés à travailler l’Arabica Typica, avec des plants fournis par le PNR. Les parcelles sont modestes. Le principal producteur n’a pour l’heure que 2,5 ha. C’est au pied de la Montagne Pelée, du côté du Morne-Rouge et de Fonds-Saint-Denis, qu’on peut rencontrer les caféiculteurs. Là seulement le produit trouve les bonnes conditions pour s’épanouir, un peu d’altitude (plus de 500 m) et de la pluie. 

Lutte contre la fragilité variétale 

De 6,5 ha en 2021 (l’équivalent de 10 000 plants), l’objectif est d’atteindre 15 ha en 2023. Entre temps, il faut se réapproprier les gestes culturaux et attendre que les plants arrivent à maturité. Et le parcours est tout sauf dépourvu d’embûches. Recherche des bons amendements, problèmes de désherbage, lutte contre la fragilité variétale et les prédateurs… les obstacles sont nombreux. C’est la raison pour laquelle on ne parle pas encore de café bio. Le recours à des intrants « phytos » reste d’actualité avant d’envisager aller plus loin.

Mathurin Pajoul, producteur dans les montagnes de Fort-de-France. Il projette de passer de 600 à 1 500 plants de café Arabica Typica. Crédit Ph. B.

Trop tôt pour le bio

Mais la démarche veut tendre vers le « responsable ». Pour deux raisons. Un, certains parmi les six producteurs sont déjà en bio pour d’autres cultures. C’est le cas de Sébastien Souraya, au Morne-Rouge. Ses 26 ha de goyaves sont cultivés en AB. Le café pourrait le devenir aussi, mais il faut d’abord « réussir à trouver les bons traitements et fertilisants », dit-il. Deux, l’opération est soutenue par le groupe leader mondial JDE (Jacobs Douwe Egberts, marques Jacques Vabre, Senseo, L’Or…). Il est engagé dans le programme Common Grounds « d’approvisionnement à 100% en café et thé issus de sources responsables en 2025 ».  

Vendu sous la marque Jacques Vabre 

On peut y voir une volonté de communication « verte ». Mais aussi, vu la petite échelle de la collaboration martiniquaise, de promouvoir un café Premium de niche, vendu à une clientèle hédoniste exigeante. C’est d’ailleurs sous la marque Jacques Vabre qu’ont été écoulés les premiers – rares – sachets de café martiniquais, torréfié sur l’île. Début novembre, une édition limitée a été vendue au Bon Marché, à Paris.

Les baristas martiniquais s’approprient l’art de faire « couler » un bon café… Crédit Ph. B.

1 000 kg en 2020 

Les premières récoltes n’ont eu lieu qu’en 2019. En 2020, environ 1 000 kg ont été cueillis. Une goutte d’eau dans un océan de café mondialisé… Mais les caféiculteurs sont motivés. « C’était un rêve de produire du café. Je me souviens avoir toujours vu mes grands-parents en cultiver », assure ainsi Mathurin Pajoul, dans sa ferme des hauts de Fort-de-France. Même désir chez Sébastien Souraya. « Je voulais diversifier mes cultures et cela me tenait à cœur de relancer cette variété », assure-t-il. Pour les touristes, patience, le café durable Made in Martinique est en chemin.