
Depuis quatorze ans, Alexandra Farnos est à la tête d’un cabinet-conseil de Cavaillon spécialisé dans l’intermédiation entre producteurs bios et distributeurs européens. Un job de facilitateur qui révèle la réalité économique d’un marché approprié par des acteurs puissants… loin de l’image romantique des circuits courts et des produits locaux.
C’est une réalité du marché bio qu’il faut bien affronter. Si la France se caractérise par une diversité des acteurs, avec une floraison de petits producteurs vendant leur récolte en direct ou dans des structures de proximité – la partie sans doute la plus connue du grand public – mais aussi des exploitations plus grandes écoulant leur récolte en GMS et même à l’export, il en va tout autrement en Espagne et en Italie. Champions historiques d’un modèle légumier et fruitier intensif et conventionnel, les conversions en bio n’ont pas remis en cause la règle d’airain du système : de gros volumes exportés en majorité vers les pays du nord de l’Europe, surtout en grande distribution.
Bio et business
« En Espagne, il n’y a pas de vrai concept de bio local. ni même de prise en compte de l’agriculture locale en général. Le modèle espagnol ou même italien est davantage tourné vers une mutualisation des productions et de la commercialisation, à l’inverse de la France ou les petits producteurs tendent à rester indépendants, surtout dans le Sud. La grande distribution européenne possède les plus grandes parts de marché du bio en Europe et elle a besoin de volumes conséquents et constants », éclaire Alexandra Farnos, 20 ans de bio derrière elle, dont sept passées chez Pronatura, à Cavaillon, l’entreprise de distribution leader du secteur en France, où elle était responsable des achats Europe et hors Europe.


Bienvenue dès lors dans le monde de l’agri-bio business. Après tout, personne n’était assez naïf pour croire que le ralliement des consommateurs à ces produits – l’offre en Europe est toujours inférieure à la demande – n’allait pas mobiliser des acteurs pour qui ce marché est d’abord synonyme de volumes et de profits – et pourquoi pas, au fond, si les choses sont effectuées dans les règles de l’art ? Mais c’est là où le bât semble un peu blesser…
Bio, mais lequel ?
Car au-delà de la remise en cause d’une philosophie qui associe plus logiquement les produits bios aux circuits courts et aux récoltes de saison, Alexandra Farnos reconnait que « si la règlementation bio européenne est la base, chaque pays peut se doter de normes plus exigeantes en terme environnemental ou social. Le cuivre, par exemple, est interdit au Danemark depuis de nombreuses années et son usage fait débat au sein de l’Union Européenne ». De là à penser qu’il existe un bio à plusieurs vitesses, plus strict ici, plus « laxiste » ailleurs ? La question mérite d’être posée, d’autant que la multiplication des organismes de certification n’aide pas à la visibilité. « Dans mon travail, je suis très vigilante sur la partie certification et je ne m’en contente pas. J’étudie aussi les hectares exploités et les volumes par hectare vendus », avoue Alexandra Farnos.
Bio et bon ?
Peut-on dire toutefois que ces produits bios cultivés en grande quantité sont bons ? « La qualité physique du produit devient très importante pour le marché allemand, idem pour la traçabilité. Mais la tomate hybride bio cultivée au Maroc ou aux Canaries, surtout quand elle pousse en janvier ou en février, n’est pas vraiment bonne. Les distributeurs avec lesquels je travaille veulent des produits qui ont du goût, une tenue sur les rayons et surtout savoir d’où vient le produit et comment il est cultivé. C’est une grande partie de mon travail de m’assurer de tout cela via les audits auprès des producteurs et mon activité de conseil auprès d’eux », observe la chef d’entreprise.
Nous ne pensons pas autre chose, certains qu’une part de l’esprit bio s’envole avec ce type d’acteurs.